Vortex a de quoi étonner dans la filmographie de Gaspar Noé. Plutôt que de figurer, comme dans Climax, la descente aux enfers spectaculaire comme revers de la pulsion vitale, ce nouveau film retrace la mort, lente et douloureuse, d’un couple d’octogénaires (Françoise Lebrun et Dario Argento) frappé par la maladie d’Alzheimer. Vortex s’ouvre ainsi sur une scène ensoleillée de déjeuner en terrasse, suivie d’un panoramique recadrant sur un mur grisâtre. Comme souvent chez Noé, le mouvement de caméra inaugural annonce l’horizon du récit, qui s’acheminera ici sur le décès, puis l’emmurement, des deux personnages principaux. Le film pourrait s’arrêter là – puisque tout semble déjà explicitement programmé – si seulement l’intérêt du cinéma de Noé ne consistait pas en l’exploitation d’un dispositif technique ou narratif particulier (chronologie inversée dans Irréversible, plans-séquences dans Enter the Void, 3D dans Love, etc.). Ici, c’est le split-screen qui est mis à l’honneur, après avoir déjà été expérimenté dans Lux Æterna. Tout le film se déroule en écran partagé, et témoigne d’une approche plutôt traditionnelle de l’écran scindé, qui consiste à montrer deux actions distinctes de manière simultanée, ou un même événement sous deux angles différents. Des « actions » et « événements » d’ailleurs tout à fait relatifs : si Noé nous a habitués à un cinéma graphique et spectaculaire, Vortex en est la parfaite inversion, montrant une suite d’actions quotidiennes et la manière dont le danger s’insinue dans un cadre ordinaire. Une gazinière, un médicament ou une porte laissée ouverte deviennent ici sources d’inquiétude et de tension. Le film s’attelle par là à déjouer les attentes, en repoussant l’issue fatale tout en travaillant, sur un mode mineur, le suspense depalmien que permet l’usage du split-screen (on pense notamment aux écrans scindés de Sœurs de sang, en particulier lorsque la division du cadre est rejouée avec celle d’un miroir dans une salle de bain, tandis que dans la pièce voisine un dialogue important se met en place).
Il faut pourtant se rendre à l’évidence : de cette scission du cadre, stimulante sur le papier, Noé ne tire malheureusement pas grand-chose en dehors de quelques analogies attendues et trop souvent ressassées. La division du cadre figure par exemple celle du couple, dont l’un des membres continue de vivre alors que l’autre se met à dépérir, soulignant par extension le décalage entre deux positions dans l’espace social : celle d’un homme, auteur de livres sur le cinéma et membre actif d’une revue cinéphile où il entretient une relation extra-conjugale, et celle d’une femme, sans aucun contact avec le monde extérieur. La scission de l’écran indique aussi la perspective d’une rencontre entre deux figures issues de deux cinémas : celui de Dario Argento et celui de Jean Eustache (avec Françoise Lebrun) – collision cinéphile plus qu’effective (Vortex n’entretient au fond que peu de liens avec l’œuvre de ces deux cinéastes). Enfin, et surtout, le split-screen est envisagé dans sa dimension carcérale, en ce qu’il met en bière et prend la forme de deux casiers mortuaires. C’est peut-être la seule (mais belle) réussite du film que de parvenir à émouvoir lorsque, à la suite d’un décès tragique, une partie de l’écran s’éteint pour ne laisser derrière elle qu’une case noire, une béance, dans un diptyque incomplet, le cœur brisé.