Avec la sulfureuse figure d’Édouard Limonov, remise au goût du jour en 2011 par la biographie d’Emmanuel Carrère (qui fait d’ailleurs une brève apparition dans le film), Serebrennikov semble avoir trouvé un personnage à son image et taillé pour son cinéma : insupportable, imbu de lui-même, rock’n roll et destroy. À partir de sa trajectoire bigger than life, le réalisateur russe signe une sorte d’autoportrait assez complaisant – Limonov et lui ont en commun d’être deux artistes dissidents supposément géniaux et subversifs – qui accentue la porosité entre le réel et la fiction. Limonov, dont le pseudonyme est une contraction en russe de « citron » et de « grenade », est justement ici le vaisseau d’un récit acidulé et pétaradant, saturé d’effets gondryesques et de plans-séquences performatifs qui permettent de dynamiser les transitions entre les différents moments de son existence. Le film se rêve en plongée impressionniste à travers la mémoire d’un homme (à mi-chemin entre la reconstitution de Leto et le dédale de La Fièvre de Petrov) ; on en ressort plutôt avec l’impression d’avoir été écrasé par un rouleau compresseur.
La fascination dont témoigne Serebrennikov pour son ours mal léché (incarné par un Ben Whishaw sur courant alternatif) ne lui inspire que des tableaux versant allègrement dans l’iconisation. Pas de distance critique chez le cinéaste ; on sent au contraire chez lui une forme d’empathie doublée d’une volonté de rendre l’auteur cool, jusque dans son virage crypto-fasciste des années 2000. « Quelle vie, tout de même » : voici au fond à quoi se résume le point de vue de Serebrennikov vis-à-vis de son personnage, soit à peu près le constat que n’importe qui sera en mesure de tirer à la lecture de la page Wikipédia de l’écrivain-majordome-dandy-activiste politique. S’il se pose peu de questions, le film en soulève toutefois indirectement une : combien de croûtes Serebrennikov doit-il encore commettre pour perdre son rond de serviette cannois ?