Si un festival tel que Cannes ambitionne de prendre le pouls de la production mondiale dans toute sa diversité, il peut aussi se faire, même involontairement, le miroir d’une certaine uniformisation. La présentation à quelques jours d’intervalle des Nuits de Mashhad et de Leila et ses frères révèle par exemple une sorte de « farhadisation » du cinéma d’auteur iranien : même penchant pour le thriller social, même volonté de déconstruire les travers d’un pays, même désir de figurer des personnages écrasés par un système. On s’en étonne d’autant plus que le précédent film de Saeed Roustaee, La Loi de Téhéran, qui pouvait convaincre localement par ses incursions du côté du polar urbain (notamment dans la course-poursuite qui lui servait de prologue), lorgnait davantage sur des modèles américains. Leila et ses frères en prend le contrepied, à quelques exceptions près (on retrouve Navid Mohammadzadeh et Payman Maadi au casting), en cela que le récit déploie sur près de trois heures une crise familiale accumulant plusieurs couches narratives.
Il ne s’agit plus de restituer la logique d’une organisation (un réseau de trafiquants) ou d’un milieu (la vie à l’intérieur d’une prison), mais d’ausculter les conflits d’un clan, les raisons de sa nature dysfonctionnelle, le maillage de rancœurs et de non-dits qui le constitue, etc. Pour un film qui vise une ampleur narrative, un problème se présente toutefois rapidement : la stratification des enjeux rend la première heure pour le moins confuse. La chose est peut-être toutefois volontaire, si l’on en croit un détail symbolique sursignifiant. Leila (Taraneh Alidoosti), colonne vertébrale de la famille mais aussi de l’intrigue, a justement des problèmes de dos. Quand bien même le récit redresse ensuite la barre, reste l’impression tenace que ce portrait d’un collectif au bord de l’explosion ne fait que démultiplier la même idée par l’entremise de ses différents fils : chacun, à son échelle, est essoré par une structure qui l’englobe et le dépasse. Et le scénario, parfois certes habilement, d’emboîter les uns dans les autres les différents blocs de l’intrigue, au risque toutefois de trop afficher sa méthode. Au lieu de faire fructifier les quelques promesses entrevues dans son précédent film, Roustaee en confirme plutôt les limites.