Contrairement à ce que laisse prédire son titre, Conann n’est pas vraiment une relecture du classique de l’heroic fantasy signé Robert E. Howard, ni même un remake queer du film de John Milius, qui donna son premier grand rôle à Arnold Schwarzenegger. On devrait plutôt chercher du côté des références littéraires (notamment de la Divine Comédie de Dante) la véritable matrice du film, qui fait du personnage de Rainer (Elina Löwensohn, grimée en Cerbère nécrophile) un équivalent de Virgile guidant une vieillarde (et le spectateur) à travers les cercles de l’Enfer pour raconter l’histoire de la Reine des Barbares. Élevée par sa mère avant d’être enlevée par Sanja et ses guerrières, Conann suit un apprentissage au gré d’une série de métamorphoses (le personnage est joué d’ailleurs par cinq actrices différentes), tandis que le récit s’étale de la préhistoire à l’année 1998 en passant par les grandes guerres du XXe siècle. Au regard des précédents films de Mandico, Conann fait donc preuve d’une apparente épaisseur romanesque, par exemple lorsqu’il se permet un intermède mélodramatique – peu réussi, au demeurant – autour de l’amour impossible entre l’héroïne et Sanja, qui voyagent dans le temps jusqu’au New York de la fin des années 1990.
C’est lorsqu’il aborde les rives du réel que le film révèle les limites de ce cinéma fétichiste, peuplé de petits univers oniriques. Qu’il s’agisse d’une plongée dans les rues interlopes de New York ou de la dénonciation des travers du marché de l’art, Mandico ne filme jamais autre chose que son propre imaginaire cinéphile traversé de visions fantasmatiques, qu’il charge d’une épaisseur politique artificielle. Ainsi de la mise à mort d’un groupe d’hommes supposés incarner les « puissants » exerçant leur pouvoir dans toutes les sphères de la société contemporaine : la scène pâtit d’une confusion entre la dénonciation de la concentration de l’argent entre les mains d’une élite (les victimes de Conann sont des médecins, des scientifiques, des banquiers et des hommes politiques) et le goût du cinéaste pour le luxe (cf. les bijoux mêlés aux organes internes de la barbare à la fin du film). Lorsqu’il filme la mise à mort d’une danseuse incarnant « l’Europe innocente et cérébrale », c’est tout le passé patriarcal, colonial et capitaliste du Vieux Continent qu’il tente d’effacer au profit d’une uchronie filmée du côté des Amazones. Difficile toutefois d’être convaincu par cette pseudo-rupture quand on voit combien Mandico s’avère incapable de sortir de son propre système en vase-clos.