Kaurismäki revient à la compétition cannoise douze ans après Le Havre, dans lequel le style bien identifié du cinéaste virait à l’imaginaire figé. Dans un texte pour les Cahiers, Jean-Philippe Tessé allait jusqu’à comparer (non sans fondement) la poésie passéiste du cinéaste finlandais à celle d’Amélie Poulain. Les Feuilles mortes n’est heureusement pas si chargé, même s’il reste chez Kaurismäki l’impression de contempler un petit univers sous cloche, aux éclairages soignés et dont les rares traces de contemporanéité (un calendrier daté à l’année 2024, les bulletins radiophoniques chroniquant les combats en Ukraine) jurent avec les décors et costumes des personnages, qui pourraient tout aussi bien être ceux d’un film situé dans les années 1980.
On concède qu’on garde un fond de méfiance pour ce cinéma à l’humanisme à gros trait (c’est le côté lourdement « chaplinesque » que revendique le metteur en scène, heureusement ici moins prégnant) et dont l’humour à froid ne séduit que par intermittence – mention spéciale à un excellent gag cinéphile comprenant un film de zombies et une comparaison audacieuse à Bresson. Reste que Les Feuilles mortes, tout en restant un objet un peu anecdotique, contient quelques belles scènes de rapprochement amoureux, où la raideur caractéristique des personnages de Kaurismäki se couple ici à l’embarras charmant de deux corps qui s’apprivoisent avec maladresse. Ce n’est pas grand-chose, mais la concision du film et l’attention aux gestes des acteurs tranchent avec la pesanteur de certains titres-mammouths concourant aussi à la Palme d’or.