Non, vraiment, le dernier Tran Anh Hung, c’est du beau boulot. Adapté d’un roman du célèbre auteur japonais Haruki Murakami, Norwegian Wood aligne pendant plus de deux heures des images hyper léchées, somptueusement tournées et servies dans un rythme aux petits oignons. Tout le monde s’est bien défoncé : le chef-opérateur, le décorateur, les costumiers, le monteur, les maquilleurs, l’ingénieur-son. Là-dessus, rien à dire : tout est très joli. Mais c’est justement cette joliesse qui nous gêne : on le sait, la somme des bons ingrédients ne suffit pas à garantir la saveur du plat. On a l’impression, devant cette histoire envoûtante de transferts amoureux, d’assister ni plus ni moins à la mise en images de cette idée qu’un public occidental se ferait de l’art asiatique, avec son cortège de subtilités, de délicatesse et de pudeur. Enfin, demandons-le : pourquoi faut-il que l’Histoire – le film se déroule pendant les révoltes estudiantines de 1967 – ne serve jamais que de toile de fond ? Pourquoi la nature, accompagnant les atermoiements de nos personnages, n’est-elle jamais saisie autrement que comme un panorama ? Pourquoi, enfin, les personnages ne rencontrent-ils jamais leur environnement ? À force de les en détacher, et de leur construire, par les savantes caresses de sa mise-en-scène, un véritable palais de glace, Tran Anh Hung finit par les détacher de tout.
Appelons cela un problème de mise en scène. Il se trahit dès que Tran Anh Hung abandonne ses élégantes arabesques, dès qu’il laisse un peu reposer sa caméra. Prenons ces quelques moments où l’un des personnages craque nerveusement. La caméra se pose, enregistre simplement et, là, affleurent des problèmes de rythmes, une rigidité de jeu, un soudain bâclage, qui accusent un désintérêt du cinéaste. Voilà ce qui arrive quand on concentre tout son art dans le seul entrelacement des mouvements, aussi beaux, aussi délicats soient-ils. La mise en scène est une affaire de choix et ceux-ci vont bien au-delà de l’outil-caméra. Ici, la caméra tient lieu de fétiche phallique pour réalisateur en quête de contrôle absolu. Alors, bien entendu, tant qu’il s’agit de mettre en avant une supposée finesse, et d’en faire l’étendard de son film, ça fonctionne – même si ça turbine sec. Mais dès qu’on sonde un peu l’inconscient qui remue sous ce gros tas de délicatesse, sous cette si asiatique laque de poésie, c’est le même objet qui émerge, à la fois dans le hors-champ et dans le discours des personnages (qui est aussi une forme de hors-champ) : une bonne grosse bite, que les personnages ne cessent de ramener sur le tapis. Elle surgit régulièrement, comme un diable à ressort ricanant. Pour la délicatesse, on repassera.