Non. Que la longue fresque de Mario Martone aborde le Risorgimiento sous l’angle opposé à la grande communion nationale – redoutée – ne suffit pas à la rendre intéressante, ni même « regardable ». Le renversement du mythe national, passé au crible du scepticisme et d’un partage des torts nuancé, ne sauve aucunement le film de son indécrottable indigence. L’unification de l’Italie est vue à travers le prisme d’un déchirement : la séparation irrémédiable de trois frères de révolution, trois frères d’armes. La belle affaire. En dépit de ce point de vue « original », l’Histoire ne s’impose au spectateur que facilitée par un infâme appareil digestif de nature scénaristique. Les événements lui sont à ce point pré-mâchés qu’il n’a plus rien à voir, ce pauvre spectateur, si ce ne sont de tristes plans de dramatique pédagogique à l’usage des professeurs de collège. Il n’a plus qu’à écouter ce qui se dit et qui contient tout le film (une continuité dialoguée). Les personnages passent leur temps non seulement à expliquer ce qui se passe sur le plan politique – à l’extérieur du plan – mais aussi à commenter ce qu’eux-mêmes sont en train de faire – à l’intérieur du plan. Tout est couvert, tout est quadrillé pour que le spectateur puisse épouser cette hauteur de vue, permettant d’affirmer que, non, tout n’était pas si beau durant le Risorgimiento. Que la Révolution en marche est une hydre à mille têtes qui dévore ses enfants. La belle affaire, décidément.
Le pire, c’est que Noi Credevamo se refuse systématiquement au minimum syndical qu’exige le traitement d’un sujet historique. Montrer les forces en jeu. Montrer les masses qui s’affrontent. Décrire le terrain de leur affrontement. En dégager les enjeux stratégiques. Couler l’action du film sur la marche des événements. En un mot : FAIRE DES PLANS D’ENSEMBLE. C’est ce qu’accomplissait magnifiquement Luchino Visconti dans Senso – ou encore, plus récemment, Steven Soderbergh dans la première partie du Che – lorsque l’Histoire frappait à la porte du récit et que la marche des troupes se liait intimement à celle des personnages. En une belle série de plans d’ensemble, qui avaient dans le film leur temps et leur place, on comprenait toute la situation politique du pays et s’en dégageaient des enjeux clairs, des enjeux spatio-temporels, géopolitiques. Dans Noi Credevamo, on ne sort presque jamais de cet indigeste ping-pong en champs-contrechamps et en plans moyens, où les tenants et aboutissants géopolitiques sont systématiquement résumés et servis en bouillie aux passions des personnages, du coup on ne peut plus théoriques, on ne peut plus abstraites. Circulez, il n’y a rien à voir.
On reconnaît chez Martone, très actif en Italie sur la scène du théâtre d’avant-garde, une position bien confortable. Celle du non-dupe, de l’intellectuel qui contemple les événements du haut de sa position et peut ainsi dénoncer, rétrospectivement, les égarements de l’Histoire. On ne la fait pas à Martone. Pour lui, la Révolution, ça n’est pas si simple : on en souffre, elle laisse des traces indélébiles sur les individus. Les idéaux sont toujours déçus et les beaux principes contredits par les réalités humaines. Trois heures et vingt-cinq minutes pour dire ça. Vraiment, la belle affaire !