Fading fut présenté dans la section Orizzonti lors de la dernière Mostra de Venise. Pour des raisons forcément mauvaises, nous n’avions pas eu le temps de nous attarder sur cette œuvre singulière et passionnante d’Olivier Zabat, dont une distribution en salle serait fort bienvenue.
Fading est un de ces films inclassables, notamment du fait de son statut expérimental et hybride, avec ses « personnages du réel » que le geste cinématographique accompagne dans leurs trajectoires. À leur côté, Olivier Zabat vit et éprouve l’expérience, entraînant avec lui caméra et spectateurs. Si l’on devait convoquer quelques références, un bien étrange équipage se formerait : Irène d’Alain Cavalier, REC de Paco Plaza, Eraserhead de David Lynch, Apichatpong Weerasethakul (plutôt Syndromes and a Century), et quelques autres. On se dit aussi que si Jacques Tati s’était lancé dans le film d’effroi, son sens de la dilatation et de la contamination des effets aurait pu donner quelque chose d’assez proche. Mais cette petite liste n’engage à rien, car il faut surtout mentionner qu’Olivier Zabat et son dernier film n’appartiennent qu’à eux-mêmes.
Le cinéaste nous propose une plongée dans les ténèbres, ceci à deux échelles au moins : l’une visuelle – deux lieux souterrains hautement anxiogènes, un parking en sous-sol et les interminables corridors d’un hôpital – et l’autre immatérielle, que l’on définira comme les tourments de l’âme. Seconde dualité que cette alternance entre un duo de gardiens de nuit aspiré dans le flux et les profondeurs de champ du dédale de couloirs et cette sorte de vieux punk – tatoué, percé, scarifié, qui ne tardera pas à se piquer – vivant reclus dans un trou faisant figure de béance entre le monde des vivants et celui des morts. Perçu longuement en focale courte dans la scène d’ouverture, ce corps presque statufié ne se trouve déjà plus en relation avec un autre plan et champ que lui-même. Il est son seul objet et sujet, se photographiant et filmant obsessionnellement avec son téléphone portable, composant une sorte de monstrueuse vanité à la beauté mélancolique foudroyante.
Au-dessus de la chaussée, dans le monde des « encore-vivants », on jouit, malgré la nuit, d’un peu de lumière et du frisson de la vitesse, sur deux ou quatre roues, seul ou en meute. Puis il s’agit bientôt pour Marco et Verlisier de s’aventurer dans d’autres limbes : un lieu de travail où ils sont persuadés d’une présence désignée par « ils » et « eux ». L’idée d’un monde en proie à la paranoïa – notamment avec l’intervention de différents régimes d’images – résonne avec puissance dans Fading, où à force de surveiller on est forcément assailli, et qu’à défaut d’une réalité de la menace, on peut toujours inventer ou imaginer cette dernière. De cette dimension disons politique, des questions de cinéma tout à fait essentielles s’inscrivent en écho. Notamment celle de la croyance dans les mécanismes de l’apparition et de la projection, ceci étant une fonction humaine qui n’a pas attendu l’apparition de la technique du cinématographe. Très ancré dans le contemporain, Fading s’avère aussi, par un mouvement de balancier, marqué par une forme de primitivisme résidant dans cette lumière qui vacille appelée cinéma, et dans cet œil qui la regarde, l’imagine.