Le dossier de presse soigné que nous avons eu en main dès hier laissait penser que le pubis féminin serait définitivement le roi de cette 67e Mostra. Enrubanné chez Aleksei Fedortchenko, enfariné par Antony Cordier, scruté par Vincent Gallo (qui va jusqu’à composer, modeste comme l’est le démiurge, son Origine du monde), tout portait à croire qu’Attenberg ferait émerger une nouvelle figure de cette toison ornant – le plus souvent – le sexe féminin. Il n’en est pas tout à fait rien, mais il a fallu réviser pas mal de préjugés par rapport à ce que l’on pouvait supposer du second long métrage de Athina Rachel Tsangari. La lecture du synopsis renvoyait fortement vers Canine de Yorgos Lanthimos, film grec sorti en France en décembre 2009. Attenberg s’attache à Marina, une étrange jeune fille d’une vingtaine d’année. Misanthrope, sa vie sociale se résume à son père, avec lequel elle vit, et Bella, sa seule amie. Avec cette dernière, elle s’adonne à des activités extravagantes, comme cette sorte de concours récurrent de la démarche la plus ridicule. Le paternel est gravement et irrémédiablement malade, cette maigre sociabilité va s’amoindrir plus encore ; Marina va devoir apprendre à marcher, ses étranges déambulations ne sont, en fait, en rien régressives… Ses passions ne s’avèrent pas plus diversifiées : l’œuvre documentaire de Sir David Attenborough sur les mammifères et la musique du groupe Suicide. Quant à la chose sexuelle, elle trouve ça repoussant, écœurée à l’idée qu’un corps étranger puisse s’introduire en elle ; le «piston», c’est ainsi qu’elle caractérise le mouvement de va-et-vient d’un sexe dans l’autre.
Avec sa formidable idée, Canine restait malheureusement bloqué à ses intentions initiales de film-concept plombé par le corset d’une mise en scène clinique tournant rapidement à vide. Une crainte qui s’impose au début d’Attenberg : une situation – deux filles qui se roulent bizarrement un énorme patin – filmée dans un long plan-séquence d’une fixité glaciale. Marina et Bella, ce sont elles, poursuivent en se crachant l’une sur l’autre, avant de se mettre à quatre pattes et d’exécuter des ruades animales. On craint une compétition des comportements étranges prenant place dans une cité industrielle glauque à souhait : usines monstrueuses et habitats uniformes induisent vanité de l’œuvre humaine et vacuité de l’existence. Mais ce point de départ ne tient pas lieu de programme et ne se limite pas au portrait des dérèglements des rapports humains. Attenberg est de ces films qui disposent d’une belle et heureuse dynamique interne. Concernant Marina, on ne peut pas parler d’éducation, processus qu’elle n’a visiblement pas intégré, mais d’apprentissage in situ, passant par l’expérience du «faire». Le croisement de trajectoire entre ce père qui avance vers la mort et cette jeune fille qui entre dans la vie, arc narratif des plus périlleux, s’accompagne de la mue discrète et subtile d’une mise en scène qui, sans toutefois quitter ses formes de distanciation, se fait plus sensible et vibrante. Attenberg devient alors ce long métrage mélancolique et tendre, une réussite que l’on n’avait pas franchement soupçonné a priori, et même après le début de la projection.