1) Lundi 6 septembre, sala Volpi, projection du film interrompue en raison d’un problème technique.
2) Jeudi 9 septembre, programmation d’une séance de rattrapage dans la sala Perla.
3) Il aurait été dommage de passer à côté.
Dans Below Sea Level – Grand Prix de Cinéma du Réel en 2009 – de Gianfranco Rosi, on vivait au grand air dans des abris, plus ou moins de fortune. Et en communauté, même s’il s’agissait, pour beaucoup, d’un agrégat de solitudes. El Sicario présente une situation bien différente : un seul protagoniste et un huis clos dans cette chambre 164, lieu dont on découvre toute la banalité dans les plans d’ouverture. Au fil du métrage, juste quelques furtives vues extérieures vont s’intercaler, notamment un panorama d’une ville-frontière entre Mexique et États-Unis. « Pas de frontière pour les narcos » nous dit cette voix ; en effet, cette ligne passe peut être dans l’image, mais on ne la perçoit pas. Une autre frontière parcourt El Sicario, celle entre le bien et le mal, que l’on a tendance à croire aussi nette qu’un trait sur la carte d’un atlas. Celle-ci n’a de cesse de se brouiller, d’autant que cet homme n’est pas ce que l’on peut considérer comme un repenti. Tant mieux, si on peut dire, une caméra est un outil au service de la complexité, et non une instance de jugement.
Un article de Charles Bowden, précisément sur ce personnage, fut le déclencheur de ce film qui retrace l’itinéraire d’un sicario, terme que l’on peut traduire par tueur à gage à la solde des cartels. Il s’agit du parcours de ce criminel extrêmement professionnel, d’une précision qui résonne dans son verbe comme une sorte d’orfèvrerie dans l’art de tuer, torturer, kidnapper selon un code d’honneur très établi – les victimes ayant souvent droit aux trois réjouissances. Un parcours qui le conduit à être recruté dans sa jeunesse par un cartel, puis placé, avec bien d’autres, dans la police. Gianfranco Rosi dresse le portrait d’une vie volée – mise à prix à hauteur de 250 000 $ –, du moins toujours vouée à une autorité et à un ordre supérieurs : celle d’el Patron hier, de Dieu aujourd’hui. Le terme « corruption » est bien faible pour définir le niveau d’imbrication et de complicité entre le crime et la loi. Une situation qui, du Mexique, déborde aussi de l’autre côté de la frontière. C’est un maillage extrêmement méthodique, presque fascinant, des différentes strates de la société et du pouvoir qui est décrit.
Ce qu’enregistre Gianfranco Rosi est des plus informatifs, mais ce n’est pas ce qui fait sa valeur cinématographique, d’autant que cet article l’a précédé. El Sicario obéit à deux régimes de représentation distincts. C’est en partie un film qui se dessine, au sens premier, sous nos yeux, sur un cahier ; croquis, organigrammes, formes naïves, un véritable story-board de cette histoire aussi romanesque que détaillée dans un élan névrotique. Les projections et schémas mentaux de cet être presque sans visage, nous y reviendrons, trouvent pourtant une forme sur ces pages remplies frénétiquement. Lorsqu’il délaisse son cahier, ce corps se met en branle pour réitérer les gestes de son métier, il s’agit du second registre. Ceux-ci étant exécutés dans cette chambre où il a officié autrefois. On pense beaucoup à S21 de Rithy Panh, sauf qu’ici le sicario ne fait pas que répéter ses propres gestes, mais passe alternativement de la posture de la victime à celle du bourreau, moments extrêmement troublants où ce corps se situe à la rencontre du ressenti de la souffrance et de l’exercice de la violence.
Le dispositif d’un film est « normalement » le fait du cinéaste, or on est ici en présence d’une incertitude entre ce qui est du fait de Gianfranco Rosi – plutôt dans une position d’enregistreur, même s’il a la responsabilité du cadrage – ou de ce personnage, de fait metteur en scène de lui-même dans un métrage réglé selon ses conditions. Le sicario étant acteur du film, la question du jeu est perpétuellement posée. Mais il est tout aussi actif dans la mise en scène ; en premier lieu en ayant enveloppé son visage dans un voile maillé qui laisse discrètement deviner l’animation du visage et des orbites oculaires. À quelques reprises, d’une manière récurrente, des blocs d’écrans noirs font irruption pendant que se poursuit le témoignage. On peut imaginer qu’il s’agit d’une vue subjective, d’un contrechamp par lequel cette figure spectrale semble scruter filmeur et spectateur, depuis la béance où il se trouve.