Il y a près de dix ans, Hirokazu Kore-eda signait Nobody Knows, film bouleversant sur l’enfance. Brossant le portrait de deux frères séparés, I Wish revient aujourd’hui sur le même terrain. Il est possible de voir dans les deux films un diptyque sur les adieux à la légèreté du jeune âge. Si Nobody Knows était un récit d’initiation dramatique, I Wish en serait le versant enfantin et effronté.
Depuis peu, Koichi et Ryunosuke sont séparés par la rupture de leurs parents. Koichi est allé vivre avec sa mère et ses grands-parents aux pieds d’un volcan. Dans une autre ville, Ryunosuke habite un appartement exigu avec son père, éternel adolescent et guitariste de rock. Longtemps, le film de Kore-eda reste sur le constat de cette séparation et dépeint, dans un faux rythme, les deux microcosmes des deux jeunes garçons. Dans une narration alternée, Kore-eda s’installe avec patience dans cette famille décomposée et repousse sans cesse l’enjeu du suspense, les éventuelles retrouvailles des deux garçons.
Pour ceux qui aiment le cinéma de Kore-eda, cette partie descriptive et décentrée sera une merveille sensualiste. Comme dans Nobody Knows, le réalisateur sait filmer, toujours du point de vue de l’enfance, l’éventail des conquêtes sensorielles, parfois infimes, qui font l’essence de cette période. La tape franche d’une main adulte sur une épaule, les senteurs de la confection d’un gâteau à l’igname, l’effroi d’une altercation entre adultes, l’attente du grondement d’un train à un passage à niveau, sont autant de prétextes pour évoquer cette hyperesthésie de l’enfant face aux micro-événements du vécu. Il existe toute une longue histoire de l’enfance dans le cinéma japonais. Il est difficile de ne pas imaginer Koichi et Kyonusuke en figures contemporaines des espiègles frères de Bonjour d’Ozu ou du Village de mes rêves de Higashi. Le décor et l’époque changent mais reste constante la simplicité et la justesse du regard qui arrive à se détacher d’une certaine pesanteur d’un point de vue adulte. Si, par exemple, Ponette de Jacques Doillon est un film admirable, il est difficile de ne pas y discerner un prisme psychologique.
Kore-eda préfère se rappeler que l’enfance est ce moment sur-interprétatif où l’on ne cesse de donner sens à ce qu’émet le magma du monde. Cette pensée magique est le moteur de la seconde partie du film où tout se met en mouvement. Par on ne sait trop quel raisonnement, Koichi est persuadé que la nouvelle ligne du Shinkansen qui relie sa ville à celle de son frère sera le lieu d’un miracle. À mi-parcours de la ligne, le croisement de deux TGV engendrerait une énergie propice à exhausser le vœu que sa famille soit de nouveau réunie. Dans la mise en place du stratagème qui permettra aux bandes de copains de se rendre à l’endroit du miracle, le film regagne doucement le genre du film d’aventures enfantin (on pense de loin à Stand by Me). Mais, encore une fois, Kore-eda contourne tous les dangers qui pourraient pimenter l’aventure et préfère évoquer une parenthèse badine soustraite au temps rationalisé de l’école. Le film étonne encore par ce rythme de promeneur.
Le pitch du film contient en fait son manifeste. Le fameux nouveau Shinkansen aurait pu relier les deux garçons de manière efficace et rapide, or les enfants montent dans un omnibus pour se retrouver en rase campagne. Ce beau plan du petit tortillard qui, à travers les rizières, passe sous la voie aérienne et archi-technologique du TGV japonais synthétise ce cheminement filmique et flâneur. Dans ce désamorçage constant de l’intrigue miraculeuse, Kore-eda nous dit finalement que l’essentiel n’est pas là, mais dans la somme d’infimes moments d’apprentissage. Que lentement il fallait grandir.