Si Quentin Dupieux a souvent fait rentrer le cinéma français dans ses films (notamment par l’entremise d’Éric Judor et d’Alain Chabat), c’est bien la première fois que le réalisateur entre dans le cinéma français. Comment s’y prend-il ? Au fond, comme un cinéaste étranger. Il n’est de fait pas tout à fait anodin que la fin du film cite une célèbre scène du Charme discret de la bourgeoisie : au-delà de l’inspiration évidente qu’exerce le cinéma de Buñuel sur celui de Dupieux, la méthode n’est pas non plus sans points communs. Elle consiste à prendre un petit milieu bien identifié pour en sonder l’intériorité – de fait tout gravite autour de l’intériorité dans Au poste !, comme la cassette de Réalité trouvée dans les entrailles d’un sanglier : le ventre explosé d’un cadavre, un récit qui ne cesse de se mettre en abyme et de sonder sa mécanique, une porte où se cache un corps que le personnage principal a placé là, en espérant que personne n’y prêtera attention. Déjà, dans la scène d’ouverture, le visage d’un chef d’orchestre en slip apparaissait enserré par le « O » du titre qui s’affichait plein écran : cette entrée de Dupieux dans le cinéma français ne peut se faire qu’à l’intérieur des choses et des mots, qui occupent une place prépondérante dans la rythmique comique du film, axée sur des gags de répétitions (le « c’est pour ça » calé n’importe où, les rectifications linguistiques incorrectes de l’inspecteur joué par Benoît Poelvoorde).
Le problème tient, comme au fond dans Wrong Cops, dont la saleté était donnée telle quelle par la photographie ingrate, à ce que les intentions de Dupieux prévalent sur un véritable processus formel et narratif. À l’occasion de l’incursion bunuellienne sus-citée, un personnage lit la critique du « Figaroc » qui juge que ce qui a été montré tout le long du récit est « à moitié génial, à moitié poussif ». « C’est stupide » répond l’un des personnages, « tout est justement à la fois poussif et génial ». C’est probablement ainsi que Dupieux rêve son film, comme le fruit d’un génie nonchalant un peu laborieux, où les gags s’étiolent et trébuchent, et il est en cela « cohérent » (c’est bien le maître mot de l’avancée de l’intrigue, la « cohérence » qu’essaie d’établir l’interrogatoire mené par l’inspecteur) que le plus gros du film raconte une série d’allers et retours, sept au total, à la fois insignifiants et tortueux, qui délivrent en filigrane la visée du cinéaste. On peut regretter que Dupieux, cinéaste comique réellement passionnant, troque ici ses inspirations décalées pour une petite mécanique narrative peut-être trop bien « ficelée », où de surcroît les acteurs, assez décevants (Ludig en Droopy, Poelvoorde et sa partition de mimiques attendues), peinent à réellement emballer la machine.