Après avoir fait chacun leur tour des festivals (l’un d’eux a notamment été vu et aimé par un camarade à Brive), deux des courts métrages de Bertrand Mandico (qui prépare actuellement son premier long) connaissent une sortie en salles. Ce sont là de trop brefs échantillons pour qu’on s’en contente pour définir le travail d’un cinéaste qu’on dit protéiforme ; mais les deux films ont indéniablement en commun, outre la présence de la comédienne Elina Löwensohn qui collabore régulièrement avec ce réalisateur, une approche esthétique singulière. Mandico y pratique la confrontation permanente par collage entre le fluide et le solide (et leur mélange : le terreux), l’angle et la courbe, le pur et l’impur — le tout esquissant au passage des métaphores de la création cinématographique.
La cuisine est audacieuse, mais la sauce ne prend pas toujours. Living Still Life, en particulier, en prenant cette métaphore comme sujet, ne s’avère rien de plus qu’un conglomérat de vignettes stylistiques illustrant lourdement des idées pas si neuves. Löwensohn y joue une femme ayant le pouvoir de réanimer les morts en mettant les corps en scène, justement, dans des films d’animation constitués de séries de photographies. Cela évoque évidemment les origines du cinéma, en particulier les expériences de décomposition photographique du mouvement par Muybridge. En comparant cet art à une forme de nécromancie (faire vivre l’inanimé : on aura noté le jeu sur le double sens de « décomposition »), Mandico tente d’en souligner la dimension sale, souillée, contre-nature, en baladant son personnage dans une décharge, en insérant des plans d’écoulements de fluides lourds, le tout en images granuleuses et délavées. Or cet afflux de signes, qui tente de créer un « univers » visuel autour de la même idée, fait l’effet d’un dispositif pesant sur-signifiant le prisme de lecture de l’auteur.
Boîte à images
Le moyen métrage Boro in the Box, qui navigue dans les mêmes eaux sales (mais en noir et blanc), est plus convaincant — d’abord, sans doute, parce qu’une telle lecture n’est qu’une des quelques pistes et idées qu’il explore, enclin au foisonnement. Biographie fantasmée du cinéaste Walerian Borowczyk (dont on se souvient surtout des œuvres érotiques, comme Contes immoraux), articulé comme un abécédaire avec pour chaque lettre un thème en rapport avec son sujet, le film fait de la confrontation des contraires esthétiques un principe constant, par lequel il peut ouvrir son regard dans plus d’une direction. De la prémisse absurde et métaphorique d’un enfant né avec en guise de tête une boîte portant un unique trou rond (une « chambre noire », en somme, élément primordial de la photographie et du cinéma), Mandico tire en premier lieu le paradoxe de cet élément carré mêlé à l’organique et observant l’organique, filmant les courbes féminines, usant d’une caméra visqueuse (comme un appendice pour prolonger son regard de chambre noire) qu’on croirait empruntée aux premiers films de Cronenberg. Et l’eau de se mêler à la terre, et les corps de se mêler entre eux, même une boîte ayant le droit de se nourrir au sein de sa mère : invoquant un sentiment de liberté semble-t-il tiré de sa vision des films de Borowczyk, Mandico recrée une Pologne imaginaire libérée de toute convention d’harmonie géométrique et texturale — un pays fantastique, mais non idéalisé pour autant. Même le langage oral, par la voix off de « Boro » narrant son histoire (en réalité celle de Löwensohn, qui joue aussi la mère de celui-ci à l’écran), y va de son effet de contraste, créant une certaine ironie par quelques euphémismes : « Pour séduire ma mère, mon père fusionna avec la nature » dit-elle comme dans une fable, alors que l’accouplement filmé ressemble plutôt à un viol bestial. L’imaginaire, ici, n’est pas seulement voué à imposer un sens aux images, mais aussi à l’interroger, à interroger sa propre perception d’un réel réapproprié.