Clint Eastwood parle toutes les langues. Après des Lettres d’Iwo Jima entièrement tournées en japonais, la reprise de Breezy, sorte de parenthèse enchantée entre des séries de films assez violents, westerns spaghetti ou Dirty Harry, nous rappelle que le réalisateur sait aussi bien manier le langage du cœur que celui de la poudre. Et même, tenir un discours de gauche, lui qui avait pourtant la réputation d’être un solide Républicain… Mais plus qu’une curiosité, cette troisième réalisation de l’homme au poncho se révèle un joli petit film qui se suit avec beaucoup de plaisir, et annonce de grandes réussites à venir.
Au début des années 1970, la réputation de Clint Eastwood n’est déjà plus à faire. Sauf qu’on ne parle alors pas de qualité de jeu ou de réalisation, ni même de cinéma, mais bien de personnalité… Celui qui incarna, et incarne encore aujourd’hui, les valeurs les plus traditionnelles de l’Amérique, comme celles, au hasard, d’effort personnel, de rédemption, d’honneur, est ainsi rapidement étiqueté « droite dure ». Mais l’homme n’a rien à voir avec un Charlton Heston, qui deviendra plus tard le patron de la NRA, ce puissant lobby des armes aux États-Unis. Plus subtil, il revient là où on ne l’attendait pas. Pour preuve, cette comédie dramatique à l’esthétique très Seventies, assez légère en apparence, qui fera taire — au moins un temps — les mauvaises langues. Voici donc Breezy, toute jeune fille libre comme l’air et légère comme la brise, tourbillon d’énergie et d’espérances, qui va confronter son idéalisme hippie à la philosophie fatiguée d’un vieil ours des collines, quinquagénaire en costume de solitude rencontré un beau matin. L’amour, bien sûr, va très vite s’en mêler.
Mais ce n’est pas l’intrigue plus ou moins cousue de fil blanc d’une relation à l’épreuve des différences qui nous intéressera ici. L’intérêt vient plutôt de la manière qu’a Eastwood de jouer avec son art, de lancer des clins d’œil, de jouer sur plusieurs plans, différents niveaux de lecture. Comme Flaubert lançant « Madame Bovary, c’est moi », le cinéaste n’a de cesse de rappeler qu’il est ce Frank, agent immobilier déjà plus très jeune, vivant seul après un divorce, et qui va devoir remettre en question toutes ses certitudes face à l’assurance déconcertante de la jeunesse. On s’amusera de voir Breezy et Frank se rendre au cinéma pour une séance de L’Homme des hautes plaines et discuter devant l’affiche de ce western… de et avec Clint Eastwood. Les questionnements du réalisateur donnent alors à son histoire des pointes de gravité tout à fait bienvenues et lui confèrent par moments des airs de véritable film d’auteur. La simplicité, chez Eastwood, comme les évidences ne sont jamais là où l’on croit.
Cette approche intéressante est de surcroît idéalement portée par une interprétation et des dialogues sans faille. Si l’on aurait bien vu Clint lui-même à la place d’un William Holden parfois dépassé, la jeune Kay Lenz fait des merveilles dans le rôle de la pétillante Breezy, incarnant avec une aisance étonnante une personnalité pourtant complexe qui allie ingénuité et séduction, sagesse et naïveté. Gravitant autour d’elle, une poignée de seconds rôles aussi bien écrits qu’interprétés se jouent une comédie du bonheur de manière plus ou moins dupe, mascarade funeste qui étaye encore le propos du réalisateur. Enfin, le travail fait sur les dialogues, qui prennent parfois un ton presque poétique, prophétique, philosophique même, n’altère jamais leur naturel et achève de faire de ce petit film sans prétention, échec commercial et critique à sa sortie, un coup d’essai réussi avant des coups de maîtres comme Sur la route de Madison.