1. City Hall – Frederick Wiseman
2. Mank – David Fincher
3. Le Cas Richard Jewell – Clint Eastwood
4. Uncut Gems – Joshua et Ben Safdie
5. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait – Emmanuel Mouret
6. La Femme qui s’est enfuie – Hong Sang-soo
7. Malmkrog – Cristi Puiu
8. Avant l’effondrement du Mont Blanc – Jacques Perconte
9. Eva en août – Jonás Trueba
10. Better Call Saul, saison 5
Il n’aura échappé à personne que 2020 ne fut pas une année comme les autres – y compris pour le cinéma qui, au moment où nous écrivons ces lignes, n’est toujours pas « déconfiné ». Logiquement, l’exercice du « top », qui permet de dresser sommairement le bilan d’une année, mais aussi de faire le point sur le travail collectif de la revue et de mettre en exergue les sensibilités diverses qui y contribuent, en témoigne : nos rédacteurs nous ont envoyé des listes comprenant des films sortis en salle, en VOD, sur Internet, ou encore des séries TV. Le format même des classements porte les traces de la dislocation des habitudes : on y trouve parfois dix titres, et d’en d’autres cas cinq, mais aussi sept, trois ou un seul, selon le regard que chacun d’entre nous porte sur ce millésime pour le moins particulier. Et comme l’année était fragmentée, nous avons aussi donné, plus que d’habitude, une place de choix aux « mentions spéciales ». Un long, un court, une série, une scène, une actrice ou un acteur, une vidéo, une bande-son… Les possibilités étaient nombreuses.
L’Amérique, face et pile
Alors, que retenir de ce panorama à la fois fourmillant et ramassé sur un nombre de titres plus réduit qu’à l’accoutumée, compte tenu du contexte de la fermeture des salles et des reports de sorties ? D’abord, que le classement porte en tête deux films qui, de prime abord, n’ont pas grand-chose à voir : d’un côté le documentaire-fleuve de Frederick Wiseman, City Hall, et de l’autre un film hanté, Mank, que l’on pourrait croire tourné vers le passé (le cinéma des années 1930 et 1940), et qui pourtant illustre toute la singularité d’un metteur en scène de l’ère numérique, David Fincher. Il n’est pas encore l’heure de revenir sur Mank, faute de recul (une semaine sépare sa diffusion sur Netflix et la mise sur pied de ce classement), mais on peut dire qu’il constitue déjà, pour nombre de nos rédacteurs, un film majeur, et plus encore l’incarnation d’un certain cinéma, compris comme art de la forme et pas seulement du récit, ou du moins un cinéma où le récit est formalisé, monté, ordonnancé selon des principes qui ne se limitent pas à borner un sujet ou formuler un propos. Aussi différents ces deux films soient-ils, en faire deux facettes opposées d’un même art (pour faire vite : un cinéma du réel contre les trucages de l’image numérique) relèverait du contresens : on sait, par le truchement d’entretiens avec Wiseman ou ses collaborateurs, que le documentariste ne pratique plus depuis un moment le « cinéma-vérité » dont il fut l’un des hérauts ; le montage « triche », par exemple dans le réagencement ponctuel de la chronologie de champs-contrechamps à des fins discursives, tandis que l’étalonnage permet, au-delà de considérations techniques, d’altérer la lumière ou la couleur d’un ciel par souci esthétique. Et si leurs approches respectives du cinéma diffèrent sur bien des points, ils en partagent toutefois un, cher à la revue, celui de mettre en réseau des figures, des motifs et des lieux par l’entremise du découpage et du montage.
Car Wiseman ne fait pas que filmer ou raccorder des fragments captés, il met en scène. Il faut voir, par exemple, la magnifique séquence d’ouverture de City Hall, où l’embranchement des panoramas de Boston, cisaillés ou reflétés, se prolonge à l’intérieur de la mairie – un hall d’attente, puis une salle de réunion, où le maire lui-même se reflète sur la surface vernie d’une grande table. À la fracture de Monrovia, Indiana, scindé jusque dans son titre, succède un autre tableau de l’Amérique, et par extension un autre regard posé par cette segmentation des plans : ce que raconte au fond le film, c’est que la ville projette la démocratie (par son architecture, par ses institutions, mais aussi par un storytelling, celui du maire Walsh), et que cette opération relève de la concorde entre une logistique et un discours, entendu comme force agissante. Dialoguer, débattre, tisser des liens avec l’Histoire (Walsh ne cesse de revenir à ses racines irlandaises) sont autant de moyens de faire pleinement société.
L’envers de City Hall, c’est Le Cas Richard Jewell de Clint Eastwood (3e), film involontairement raccord avec l’actualité du spectateur, en cela qu’il raconte l’histoire d’un personnage confiné : Jewell, « saint ou sauvage », nouvel avatar de ces héros malgré eux chers au cinéaste. Chez Eastwood, l’héroïsme est une malédiction, une manière aussi de mettre en scène la tension, récurrente dans sa filmographie, entre l’individu et la société. Eastwood, en bon libertarien, filme une famille assiégée par les États-Unis d’Amérique, et notamment deux de ses piliers, le gouvernement et les médias. Ce sont alors les institutions qui se projettent sur les personnages : les nombreuses striures présentes dans le film (la lumière filtrée par les volets, les rayures des reportages télévisés) reproduisent les lignes du drapeau américain, quand ses deux couleurs (le rouge et le bleu) forment une alliance nocive pour bouleverser la vie de Jewell, personnage ambigu, par endroits inquiétant (sa fascination pour les armes, son obsession pour la police), mais seulement coupable de ne pas avoir la gueule de l’emploi.
Éclatement
L’autre enseignement de ce classement, qui se recoupe avec l’état des lieux du cinéma et de la cinéphilie récemment dressé dans ces colonnes, concerne la mutation accrue des canaux de diffusion. Pour la première fois, notre top comprend des films sortis en salle, en VOD, mais aussi un court diffusé gratuitement sur Internet, Avant l’effondrement du Mont Blanc de Jacques Perconte (8e). À noter également la 13e place de La Nature d’Artavazd Pelechian, projeté dans une exposition organisée à la Fondation Cartier, et la présence de Better Call Saul (10e) et de Larry et son nombril (15e), qui confirment que les séries peuvent elles aussi relever, comme nous l’évoquions à l’occasion d’un précédent classement, de ce que l’on appelle le « cinéma ».
Enfin, quelques cinéastes auront su tirer leur épingle du jeu en livrant certains de leurs films les plus accomplis : Uncut Gems de Joshua et Ben Safdie (4e), Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret (5e), Malmkrog de Cristi Puiu (7e), ou encore la révélation Eva en août de Jonás Trueba (9e). De quoi confirmer qu’en dépit des turbulences, le cinéma, dans toute sa diversité, a aussi donné de bonnes nouvelles en 2020.
Classement des rédacteurs
Clémence Arrivé
1. La Femme qui s’est enfuie — Hong Sang-soo
2. City Hall — Frederick Wiseman
3. Effacer l’historique — Benoît Delépine et Gustave Kervern
4. Énorme — Sophie Letourneur
5. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
6. Malmkrog — Cristi Puiu
7. Abou Leila — Abou Sidi-Boumédiène
8. Avant l’effondrement du Mont Blanc — Jacques Perconte
9. Playing Men — Matjaž Ivanišin
10. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
Mention spéciale : First Cow de Kelly Reichardt (inédit).
Sylvain Blandy
1. Mank — David Fincher
2. City Hall — Frederick Wiseman
3. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
4. Malmkrog — Cristi Puiu
5. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
Mention spéciale : What Did Jack Do ? de David Lynch.
Damien Bonelli
1. City Hall — Frederick Wiseman
2. Mank- David Fincher
3. Malmkrog — Cristi Puiu
4. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
5. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
6. The King of Staten Island — Judd Apatow
7. Larry et son nombril, saison 10
Mentions spéciales : Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang et First Cow de Kelly Reichardt (inédit).
Chloé Cavillier
1. Hotel by the River — Hong Sang-soo
2. La Femme qui s’est enfuie — Hong Sang-soo
3. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
4. Eva en août — Jonás Trueba
5. City Hall — Frederick Wiseman
6. Abou Leila — Abou Sidi-Boumédiène
7. Si c’était de l’amour — Patric Chiha
8. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
9. 3 Aventures de Brooke — Yuan Qing
10. Adolescentes — Sébastien Lifshitz
Mentions spéciales : Film catastrophe de Paul Grivas et Pete Davidson dans The King of Staten Island de Judd Apatow.
Fabrice Fuentes
1. City Hall — Frederick Wiseman
2. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
3. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
4. Hotel by the River — Hong Sang-soo
5. Un soupçon d’amour — Paul Vecchiali
6. Énorme — Sophie Letourneur
7. Dark Waters — Todd Haynes
8. Invisible Man — Leigh Whannel
9. Avant l’effondrement du Mont Blanc — Jacques Perconte
10. Servant, saison 1
Sophie-Catherine Gallet
1. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
2. Lara Jenkins — Jan-Ole Gerster
3. Ema — Pablo Larraín
Mentions spéciales : la drôlerie grinçante de First Love, le dernier des yakuza, la représentation de la place des Noirs aux États-Unis dans la fuite effrénée des Bonnie & Clyde modernes de Queen & Slim, l’intelligence politique, à défaut d’un réel dispositif cinématographique, de Un pays qui se tient sage, et l’extraordinaire Willem Dafoe dans Tommaso.
Bastien Gens
1. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
2. La Nature — Artavazd Pelechian
3. Mank — David Fincher
4. Better Call Saul, saison 5
5. Michel-Ange — Andreï Konchalovsky
Mentions spéciales : le jet d’eau dans Péril sur la ville de Phillipe Pujol, le regard de Marta Nieto dans Madre de Rodrigo Soroyogen, la bande originale de Ludwig Göransson pour la saison 2 de The Mandalorian, l’imitation de Pascal Praud par Julien Cazarre dans le sketch « L’heure des pronos ».
Marin Gérard
1. City Hall — Frederick Wiseman
2. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
3. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
4. Mank — David Fincher
5. The King of Staten Island — Judd Apatow
6. La Femme qui s’est enfuie — Hong Sang-soo
7. Journal de septembre — Éric Pauwels
8. Malmkrog — Cristi Puiu
9. Hotel by the River — Hong Sang-soo
10. Eva en août — Jonás Trueba
Mentions spéciales : El Año del descubrimiento de Luis López Carrasco (Cinéma du réel 2020), Microphones in 2020 de Phil Elverum (film-album-chanson), La France contre les robots de Jean-Marie Straub, Keep Your Hands off Eizouken ! de Masaaki Yuasa, le premier segment du Sel des larmes de Philippe Garrel, les amazones de Douze Mille de Nadège Trebal.
Thomas Grignon
1. Mank — David Fincher
2. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
3. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
4. Tommaso — Abel Ferrara
5. Eva en août — Jonás Trueba
Mentions spéciales : une enfilade de colonnes et un bas-relief dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, quelques raccords rigolos de First Love, le dernier Yakuza et le visage premingerien de Melissa Guers dans La Fille au bracelet.
Corentin Lê
1. City Hall — Frederick Wiseman
2. Mank — David Fincher
3. Avant l’effondrement du Mont Blanc — Jacques Perconte
4. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
5. La Nature — Artavazd Pelechian
6. Les Siffleurs — Corneliu Porumboiu
7. Film catastrophe — Paul Grivas
8. En avant — Dan Scanlon
9. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
10. Sacrées sorcières — Robert Zemeckis
Mention spéciale : PRINTTEMPS de Jacques Perconte et Nicole Brenez.
Jean-Sébastien Massart
1. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
Mentions spéciales : First Cow de Kelly Reichardt et The Nest de Sean Durkin (inédits) / une série : Sex Education, saison 2 / une actrice : Émilie Dequenne dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait / un court-métrage : What Did Jack Do ? de David Lynch.
Hugo Mattias
1. Mank — David Fincher
2. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
3. Eva en août — Jonás Trueba
4. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
5. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
Séries : Better Call Saul, saison 5 et Larry et son nombril, saison 10
Adrien Mitterrand
1. City Hall — Frederick Wiseman
2. Mank — David Fincher
3. Uncut gems — Joshua et Ben Safdie
4. La Femme qui s’est enfuie — Hong Sang-soo
5. First Love, le dernier Yakuza — Takashi Miike
Mentions spéciales : What Did Jack Do ? de David Lynch, Avant l’effondrement du Mont Blanc de Jacques Perconte et Last Words de Jonathan Nossiter pour les scènes avec Kalipha Touray et Nick Nolte.
Anthony Moreira
1. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
2. Mank — David Fincher
3. City Hall — Frederick Wiseman
4. Better Call Saul, saison 5
5. Avant l’effondrement du Mont Blanc — Jacques Perconte
6. Tommaso — Abel Ferrara
7. Larry et son nombril, saison 10
8. Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait — Emmanuel Mouret
9. Malmkrog — Cristi Puiu
10. En avant — Dan Scanlon
Mentions spéciales : trois séries (Rick et Morty, saison 4, BoJack Horseman, saison 6, et The Haunting of Bly Manor), quatre films (PRINTTEMPS, La Femme qui s’est enfuie, October Rumbles et Film catastrophe) et une scène (le finale d’Uncut Gems).
Josué Morel
1. Mank — David Fincher
2. City Hall — Frederick Wiseman
3. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
4. Better Call Saul, saison 5
5. Malmkrog — Cristi Puiu
6. What Did Jack Do ? — David Lynch
7. Larry et son nombril, saison 10
8. Uncut Gems — Joshua et Ben Safdie
9. Avant l’effondrement du Mont Blanc — Jacques Perconte
10. La Nature — Artavazd Pelechian
Mentions spéciales : une caméra tombée du ciel / Un adieu entravé (En avant) / The Last Dance / 80 000 ans / La Femme qui s’est enfuie / The Comey Rule / Itsaso Arana (Eva en août) / Un coup de foudre (Le Sel des larmes) / Lucien Jean-Baptiste devient fou (Tout simplement noir) / Ofrenda (inédit).
Leticia Weber Jarek
1. Un soupçon d’amour — Paul Vecchiali
2. Le Cas Richard Jewell — Clint Eastwood
3. City Hall — Frederick Wiseman
4. Tommaso — Abel Ferrara
5. Mank — David Fincher
Mentions spéciales : L’Extraordinaire Mr. Rogers de Marielle Heller, The Assistant de Kitty Green, Mrs. America de Dahvi Waller et Brooklyn Secret de Isabel Sandoval.