Après l’échec de son film Folie privée, Fabrizio traîne sa déception entre recherche d’emploi et bars bruxellois. Il se sépare de son amie, mais imagine un nouveau projet de film qui mettrait en scène un double non avoué ainsi que son entourage. Soulevant les thèmes de la création, des confrontations entre un cinéaste et son équipe, Ça rend heureux pointe d’abord froidement les aléas de la réalisation, puis plus platement le bonheur de faire du cinéma, c’est-à-dire ici d’être ensemble. De quoi conclure que la galère a plus de force que la joie.
En janvier 1975, François Truffaut écrivait « Aujourd’hui, je demande à un film que je regarde d’exprimer soit la joie de faire du cinéma, soit l’angoisse de faire du cinéma […] ». Ça rend heureux exprime l’angoisse de ne pas faire du cinéma. D’abord, prosaïquement, parce que trouver l’argent pour faire un film relève du parcours du combattant (et c’est un des sujets du film de Joachim Lafosse), ensuite parce que pour le réalisateur et ses personnages, le cinéma c’est la vie.
Fabrizio est au chômage après l’échec de son film Folie privée (le même titre que le premier moyen métrage de Lafosse). Entre le pointage au chômage et sa séparation avec son amie, Fabrizio traîne dans les bars de Bruxelles où il tombe amoureux d’une serveuse. Il a l’idée d’une fiction « sauvage » sur un réalisateur au chômage qui traîne dans des bars et se sépare de son amie… Le tout sans moyens et avec une équipe de fortune composée d’inactifs rencontrés dans la file d’attente de l’ANPE belge. Trois mises en abyme qui font apparaître trois éléments: les difficultés inhérentes aux rapports entre un créateur et l’équipe qui l’accompagne, le bonheur finalement de faire d’une équipe une communauté, et la nécessité de filmer.
Le problème ici concerne le rapport entre l’aboutissement et le parcours. Puisque le final n’a pas d’autre importance que d’appuyer une fois de plus le lien créé entre les membres de l’équipe, tout repose sur le déroulement du film et les idées qu’il véhicule. Dans sa direction d’équipe, Fabrizio n’est ni suffisamment tyrannique ni suffisamment dépassé pour que la chimie créateur-équipe produise un précipité apparent. Quant à la nécessité de filmer, difficile de savoir si Fabrizio vit pour filmer ou comme disait Balazs, s’il filme pour pouvoir continuer à vivre. À voir Kris Cuppens jouer soudain une sorte de Rambo-cinéaste qui se relève saignant et blessé sous les refus de financement, et qui vocifère qu’il fera son film quand même avec l’air de tenir la caméra comme le fusil, le cinéma passe avant tout le reste. Mais lorsque face à la serveuse qu’il caresse du regard, Fabrizio lui propose de jouer dans son film, celui-ci se rapproche du prétexte.
Lafosse ne choisit pas de pointer vers un extrême mais vers une certaine rondeur qui s’accorde mal à l’étiquette revendiquée: « film sauvage ». Ici l’importance de la mise en abyme joue sur l’impression de réalité. Mais Lafosse n’entend pas du tout rendre compte d’une réalité, plutôt en faire un départ. Dans une interview, il déclare « Derrière la fiction se cache une exigence de qualité et d’inventivité. S’en tenir à la réalité relève d’une sorte de paresse intellectuelle. » En se basant sur ses propos, que penser de Fabrizio qui met en scène sa vie et son entourage jusqu’à faire jouer son ex-amie dans son propre rôle ? Qu’il manque d’inventivité ? Et devient-il inventif lorsque sous la pression il remplace celle dont il est amoureux par une véritable comédienne ? La manière qu’a Lafosse de jouer sur la réalité serait une ficelle pour questionner le spectateur. C’est peut-être finalement ce qui nuit au film: se servir d’un tel dispositif sans autre but que raconter une « histoire traditionnelle ». De quoi passer d’un vécu à un simple ressort. Si seules les paroles de Joachim Lafosse le révélaient comme habile faiseur, le film serait sauvé. Mais lui aussi pointe vers une sorte de faiblesse, une union collective qui dépasse l’objet construit par ce collectif. Malgré des qualités, Ça rend heureux perd sa force en même temps que la brutalité de son personnage. Le film sauvage devient sage et finit par ne plus vibrer.