Il faut reconnaître à Joachim Lafosse une certaine constance dans sa filmographie. Comme nous l’avions souligné lors de la sortie de ses Chevaliers blancs, la figure de l’enfant a toujours été une obsession profonde, jusqu’à produire, surtout depuis À perdre la raison, un certain malaise. C’est d’ailleurs à ce film charnière dans le parcours du cinéaste que fait songer de prime abord sa nouvelle œuvre présentée à la Quinzaine des Réalisateurs : on y retrouve un couple en crise, ici déjà séparé mais contraint par les contingences financières à vivre ensemble dans un climat pour le moins anxiogène. La maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants a certes été achetée par Marie (Bérénice Béjot) mais a été retapé de fond en comble par Boris (Cédric Kahn)… d’où le dilemme de partage des biens, les époux n’arrivant pas à trouver un terrain d’entente sur la répartition du montant de la vente à venir. Il ne sera d’ailleurs jamais réellement question de la garde des enfants une fois la séparation actée. Les deux jeunes filles sont reléguées à de simples variables d’ajustements de l’intensité des scènes. Leur présence se justifiera par ailleurs dans un climax final démontrant l’arbitrarité surplombant tout le film qui se prétend pourtant de la «fameuse» justesse du réalisme.
L’Économie du couple porte d’ailleurs bien son titre tant il ne sera question que de cela : une conception purement financière des relations humaines où le moindre échange ne se conçoit qu’à l’aune de négociations pécuniaires – échanges dont le film fait son sel en répétant inlassablement le même rapport de forces dans cet habitat que le cinéaste ne quittera qu’aux ultimes minutes du film. Car, ce qui consterne, au-delà de la répétition interminable du même dispositif de discussion, c’est la condamnation sans appel du personnage de Marie, Lafosse prenant ouvertement parti pris par sa mise en scène pour le personnage incarné par Cédric Kahn : Marie serait une rentière bien-née et entourée par ses amis là où Boris serait la représentation de l’homme arrachant à la sueur de son front les conditions de sa survie solitaire… D’où, de fait, le constat parcourant le film que tout discours provenant de Marie est automatiquement stoppé net dans son élan puisque ramené en permanence à sa condition sociale – constat scénaristique prolongé par le cadre de Lafosse donnant la part belle (et donc l’autorité légitime) à Cédric Kahn. Il faut voir la complaisance de la scène où Boris débarque au milieu d’un repas que Marie a organisé avec des amis, Lafosse n’hésitant à vouloir rejouer littéralement la séquence du dîner d’À nos amours où Pialat apparaît pour régler ses comptes – Kahn cite même le film en maugréant aux convives «C’est vous qui êtes tristes!». Sauf que Pialat savait autrement construire des blocs de durée et ne cantonnait pas ses personnages à des archétypes de victime pleurnicheuse ou de durs à cuire au cœur tendre. Il faudra attendre la toute fin de L’Économie du couple pour entériner hélas la terrible dérive du cinéma de Lafosse, où est dictée en voix-off l’audience du tribunal concernant les conditions de séparations des biens, et réaliser que son film ne consiste en fait qu’en une petite procédure administrative de plus.