Le dernier film de Joachim Lafosse, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, est dédicacé « à nos limites ». Dans Élève libre, le réalisateur repousse les limites. Ce film est une histoire d’apprentissage, un « roman d’éducation », qui aborde à la fois l’apprentissage scolaire, relationnel, amoureux, sexuel. Mais c’est l’apprentissage, avant tout, de la liberté, qui intéresse le réalisateur déjà remarqué notamment avec Nue propriété.
L’histoire est celle de Jonas, adolescent en échec scolaire, se raccrochant au tennis, discipline où il échouera, là aussi. Père et mère séparés et absents, grand-frère mou et peu attentif, il n’en faut pas plus à Pierre, ami de la mère, pour décider de prendre le jeune garçon sous sa coupe. Et c’est de cette source a priori porteuse d’équilibre, voire d’accomplissement, que va venir le déséquilibre. Le film oscille entre manipulation et affection, au fur et à mesure des perversions secrètes des adultes entourant Jonas: une amie de Pierre propose des jeux sexuels à Jonas, sous couvert de lui « donner des conseils », Pierre convainc Jonas que sa première histoire amoureuse n’était qu’une amourette, puis va jusqu’à lui imposer des relations homosexuelles.
Dans le dispositif mental mis en place par Joachim Lafosse, c’est le regard porté sur les adultes via la naïveté d’un être entre l’enfance et « l’âge mur » qui se révèle le plus subtil. On croit regarder un film de plus sur les tourments adolescents, c’est en fait un film sur les névroses, les désillusions et les perversions du monde adulte qu’on a sous les yeux. Plus le film avance, plus la mise en scène nous place dans un univers de plus en plus malsain, mais sans cesse en interrogation. Que va-t-il advenir de Jonas, après toutes ces épreuves? D’après la fin du film, il n’est pas trop mal parti… et sans doute en aura-t-il appris beaucoup sur ce qu’on peut supporter et apprendre des autres. Élève libre est un film parfois un peu trop bavard, un peu trop appuyé (le film ne cesse d’en référer à Camus), très « français » dans une certaine forme d’intellectualisme. Mais c’est aussi l’un des films les plus intelligents qu’on ait vus sur la Croisette, signé d’un réalisateur décidément virtuose.