C’est une scène située vers la fin du premier épisode : tandis que le commandant Van der Weyden et son adjoint Carpentier évoquent l’origine extraterrestre de ces flaques noires qui envahissent la région, un petit groupe de migrants apparaît dans l’arrière-plan et s’approche de la gendarmerie. Le rapprochement que tisse le découpage entre l’invasion d’aliens et la présence d’étrangers, déjà lourdement amené, se voit surligné par une phrase de Van der Weyden, « Tiens, v’la autre chose ici, des extraterrestres, des trous noirs, Carpentier ! ». Son adjoint commence alors à hurler en allemand « Papiers ! Papiers ! », tel un kapo nazi, tandis que le commandant accompagne les vociférations de son collègue de tirs de sommation pour faire fuir l’assemblée.
Le problème de l’approche de Dumont ne tient pas dans son objet, soit le racisme qui gangrène un territoire où prospère « le Bloc », ersatz du Front, et le rejet primaire de la figure de l’étranger (désamorcé au fil de l’intrigue par la multiplication de doppelgängers), mais bien dans la littéralité de la démarche. Paradoxalement, la scène, aussi problématique soit-elle, s’avère toutefois être l’une des seules à peu près charpentées de l’épisode, en cela qu’elle repose sur une circulation entre le premier plan (les gendarmes) et l’arrière-plan (les migrants), tout en obéissant à une dynamique de découpage. Coincoin et les Z’Inhumains est en effet le théâtre d’un épuisement de la méthode Dumont et du virage comique amorcé il y a quatre ans avec P’tit Quinquin. Là où Quinquin reposait sur une subversion de son cinéma, par un comique jouant sur le décalage et l’accident de jeu (on voyait plus d’une fois les interprètes tâtonner, sourire, se raccrocher aux branches), Coincoin se rapproche davantage du volontarisme qui fragilisait déjà Jeannette. Le processus qu’implique le décalage (soit partir d’un point A pour finalement rejoindre un point B) s’estompe au profit de la peinture d’un monde où tout apparaît comme intrinsèquement décalé, un monde où donc le décalé devient par conséquent la norme : la voiture de police de Carpentier ne roule pas sur quatre roues mais bien sur deux, au point que la « cabriole » se voit vidée de son caractère singulier, détonnant. Car plus rien ne peut détonner si tout se retrouve d’emblée sur le même ton. On ne s’étonne dès lors pas de voir Van der Weyden descendre un escalier en glissant sur la rambarde comme Mary Poppins : Dumont ne prend plus le temps de préparer un gag, de faire du pas de côté un dérèglement de l’organisation scénique. Les quelques idées comiques sont désormais jetées dans le plan, telles quelles, comme le résidu d’un geste consciemment radical.
La ronde
C’est justement la limite de Coincoin que d’être réduit à un magma d’intentions. Dans l’épisode trois, Dumont met par exemple en exergue la répétition inhérente au format sériel : lorsque les gendarmes posent une question à un personnage et son double, le même échange (« C’est pour quoi ? ») est repris en boucle. Plus loin, c’est une scène de la première saison, où Quinquin faisait mine de pleurer pour échapper aux remontrances des gendarmes, qui est rejouée en écho, jusqu’à une phrase de Van der Weyden extraite du dialogue d’origine (« Moi aussi j’aime la campagne et les animaux ») et greffée ici à une situation différente. Les « gags » s’empilent ainsi comme les gyrophares sur la voiture multi-accidentée des gendarmes : Dumont répète jusqu’à l’usure pour mettre à mal la logique des séries, leur propension à la variation et à la redite, sans toutefois que la matérialité des scènes ne traduise autre chose que cette volonté affichée.
Toute la saison est à l’aune de sa longue scène finale, qui surjoue le délitement narratif et la folie joyeuse du carnaval. Si le récit s’achemine, comme souvent dans les films de Dumont, vers un champ-contrechamp, le face à face explose en une ronde foraine qui apparaît aussi comme la réunion des différentes intrigues des deux saisons. À l’image de ce rassemblement de figures connues, Coincoin se présente comme une œuvre a priori typiquement dumontienne, avec ses tropismes (la banalité du mal qui s’exprime en un regard ou un geste) et ses goûts (le virage très bande dessinée que prennent ses dernières œuvres), mais la matière n’y est plus, comme en témoignent les mines effarées, deux, trois, quinze, trente fois répétés. Désormais, Van der Weyden regarde presque à chaque fois la caméra lorsque la voiture de gendarmerie quitte le champ : ce qui relevait jadis de l’accident ou de l’anomalie est érigé en système. C’est que le ressassement constitue précisément l’horizon de Dumont. Coincoin ambitionne d’atteindre un état de stase, en substituant à l’horizontalité apparente du cadre (les routes que les personnages ne cessent de parcourir de long et en large, l’avancée classique d’un récit) la verticalité de ce qui s’y joue (les flaques noires qui tombent dont on sait où, l’entrelacement d’événements qui n’ont pas vocation à s’accorder). Tout n’accouche hélas que d’un amas de principes volontaristes, si bien que la série semble moins aménager de véritables situations ou plans que rejouer en boucle les mêmes mimiques et gesticulations. Plus encore qu’un mauvais film (ou série), Dumont vient surtout de signer un montage d’intentions.