Efficacité et rigueur sont les deux mamelles du deuxième long métrage de Georg Maas, réalisateur plus versé dans le cinéma documentaire. Outre le sujet troublant du récit, c’est également la présence de Liv Ullmann qui interpelle. Depuis Saraband, onze ans auparavant, le dernier film d’Ingmar Bergman, son réalisateur fétiche, Liv Ullmann s’est presque exclusivement consacrée à la mise en scène dans son pays d’origine, la Norvège. Mais le récit tragique des « enfants Lebensborn » semble avoir convaincu l’actrice de revenir devant la caméra pour ce qui « sera probablement son dernier rôle ». Elle est impeccable comme toujours, alliant grâce et caractère, même si le gros du boulot revient plutôt à l’excellente Juliane Köhler, vue dans Nowhere in Africa (2001) de Caroline Link ou La Chute (2008) d’Oliver Hirschbiegel, et qui semble habitée par le personnage qu’elle incarne, traqué mais insoumis.
Classique
Le cinéma allemand a connu bien des remous et si, de prime abord, les noms de Wim Wenders et Michael Haneke nous viennent à l’esprit, la production allemande depuis les années 2000 est constituée de plusieurs strates. Un regain d’intérêt pour ce territoire cinématographique s’illustre dans la rétrospective très complète du Forum des Images à Paris qui a lieu en mars-avril 2014, « Berlin Magnétique » qui, bien que concentrée sur la fascinante capitale allemande, proposait un panel varié des différentes mouvances du cinéma allemand de ses débuts à aujourd’hui. Elle nous révélait en particulier la diversité des vingt dernières années. Car si les années 1980 ont été monopolisées par la figure de Wim Wenders, les années 1990 et surtout 2000 voient l’essor d’une nouvelle génération enthousiaste de cinéastes qui continuent à œuvrer aujourd’hui (Petzold, Arslan, Tykwer). Lors d’une conférence au Forum consacrée au cinéma allemand contemporain, Pierre Gras, journaliste et écrivain spécialiste du cinéma allemand, dégageait trois tendances du cinéma contemporain : un cinéma à la dramaturgie et à la mise en scène classique, à vocation grand public, abordant des sujets historiques et politiques à l’instar de La Vie des autres, grand succès international en 2006 ; un cinéma plus post-moderne à l’image de Cours, Lola, cours (1998) de Tom Tykwer ou plus récemment de Fatih Akin dans sa version « multikulti » (Head-On, 2004, Soul Kitchen, 2009) et enfin l’école de la sobriété que représenteraient les films de cinéastes tels que Christian Petzold (auteur de Barbara, 2013) ou Thomas Arslan (auteur de Gold, 2013). D’une vie à l’autre se réclame sans aucun doute de la première catégorie (c’est d’ailleurs assumé puisque sur l’affiche française du film, il est écrit que le film est « un croisement réussi entre La Vie des autres et la série Borgen » et le titre français choisi est très familier) jouant d’une mise en scène solide mais fort classique, d’un scénario honnête mais fort prévisible.
Révélations et reconstruction
Georg Maas surfe ici sur la vague des scénarios à sensation, échafaudés sur la révélation des actions de la Stasi, la police politique de la République démocrate allemande (RDA) active entre 1950 et 1990. Si celle-ci exerça pendant ces années-là une censure incessante, elle constitue à présent un véritable vivier d’inspiration pour les cinéastes allemands soucieux de mettre à jour leurs pratiques.
Il s’agit ici du destin de Katrine, fruit des amours entre un soldat allemand et une femme norvégienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Dès sa naissance, elle est enlevée à sa mère pour être placée dans un orphelinat surnommé « Lebensborn », réservé aux enfants aryens. Une idée de pureté raciale portée par Himmler, qui mit à contribution les Norvégiens car il estimait qu’ils étaient une race noble du fait de leur descendance des Vikings. Katrine grandit donc en Allemagne de l’Est mais part ensuite retrouver sa mère en Norvège où elle s’installe et fonde une famille. Vingt ans après, lorsqu’un jeune avocat lui demande d’apporter son témoignage contre l’État norvégien au nom de ces « enfants de la honte », elle refuse. Katrine se retrouve alors prise dans un étau qui se resserre et qui la force aux aveux. Doit-on toujours dire la vérité ? Connaît-on vraiment la personne que l’on aime ? Est-il nécessaire de se souvenir ? Peut-on pardonner ?
Autant de questions qui alimentent la réflexion sur la notion de reconstruction, au cœur de la culture allemande. Si Georg Maas l’exploite, il ne parvient pas à la transcender afin de nous livrer un récit plus subtil. Il semble s’en satisfaire comme si la complexité de ces questionnements suffisait à nourrir la pensée du spectateur. Si le récit est entraînant et le sujet peu connu et passionnant, Maas reste engoncé dans des problématiques peu approfondies sans vraiment nous surprendre alors que le récit se veut à suspense. Dès la première demi-heure du film, nous pouvons à peu près deviner le parcours de l’héroïne et l’utilisation d’images Super 8 pour les séquences de flash-back n’aide en rien à améliorer le parti pris déjà assez ordinaire du film. Un salut à la directrice de la photographie du film, Judith Kaufmann, qui capture à merveille les paysages sauvages et secs de la Norvège en incorporant ça et là des touches de couleurs chaudes qui étoffent les plans.
Si les Français semblent être assez friands des films portant sur le passé trouble de leur voisin allemand (on pense au succès en salles de Goodbye Lenin ou de La Vie des autres), il leur faudra se contenter de ce remâchement certes divertissant et bien joué mais peu stimulant.