Qu’on la boive ou qu’on s’y baigne, l’eau est omniprésente dans Eva en août. Elle permet notamment à l’héroïne Eva (Itsaso Arana), plongée dans une rivière contre son gré, de s’ouvrir à l’imprévu. Cette jeune citadine restée à Madrid pendant les vacances d’été ne cessera ensuite de se jeter à l’eau, que ce soit en témoignant son admiration à des musiciens ou en prenant en filature l’être désiré. S’ouvrir à l’imprévu signifie aussi être capable de dépasser ses préjugés et de découvrir l’autre sous un jour inattendu, comme ce séducteur un peu lourd qui s’avère finalement être un sympathique professeur d’anglais ou cette comédienne très sombre qui se révèle une amie lumineuse. Délestée de tout plan, Eva se laisse porter par le courant, au gré des hasards : ainsi, elle n’hésite pas à suivre une touriste inconnue dans un musée et à repartir avec une connaissance rencontrée sur place. L’eau comporte également une dimension rituelle (la protagoniste boit un verre à chaque fois qu’elle entre dans un nouvel appartement), en lien avec l’idée de foi qui parcourt tout le film. Toute de blanc vêtue et enceinte de personne, Eva se confond avec la Vierge (ce qu’annonce explicitement le titre espagnol, La Virgen de Agosto), accomplissant un « acte de foi » en décidant de passer le mois d’août dans la fournaise madrilène, ce qui lui permettra effectivement de croire en sa propre existence.
Vacance totale
Conte philosophique aux multiples références, parfois explicitement citées (Stanley Cavell, Ralph Waldo Emerson), Eva en août se révèle d’une tonalité étonnamment modeste et légère. Cette qualité peut être attribuée à la place que le cinéaste accorde au « trois fois rien », c’est-à-dire aux gestes anodins du quotidien (manger un fruit, boire de l’eau, mettre des fleurs dans un vase), proche en cela du dépouillement d’un Hong Sang-soo. À l’image des figures masculines de La Collectionneuse d’Eric Rohmer (le cynisme en moins), Eva recherche elle aussi le zéro absolu, voyant dans les vacances une occasion idéale de faire le vide. Le film saisit particulièrement bien ce sentiment de vacuité estival, à travers des plans qui s’étirent pour transformer l’infime (un reflet lumineux, un chant d’oiseau) en un véritablement événement. Pour Eva, l’été se définit comme une acceptation de l’imperfection, trouvant une figuration possible dans les rondeurs de la lune ou de la grossesse. C’est précisément lorsqu’elle est parfaitement alignée avec la lune et en harmonie avec le cosmos, dans l’un des plus beaux plans du film, qu’Eva s’ouvre pleinement à l’autre. Le vide lui permet en cela d’être entièrement disponible et de se laisser traverser par le monde qui l’entoure, ce que le visage de l’actrice reflète avec une grande expressivité. Bien que centrée sur cette spectatrice émerveillée, le film dresse également le portrait d’une ville, Madrid, qu’elle décide d’habiter pour devenir réellement elle-même.