Fin d’automne commence par une cérémonie funéraire et se termine par un mariage : dans ce traitement du passage de la fin d’une ère à un renouveau, il est parfaitement emblématique des thématiques familiales explorées sans relâche par Yasujirō Ozu au cours de la cinquantaine de films qu’il a réalisée. Après avoir imité les films de gangsters hollywoodiens pendant sa période muette, Ozu a radicalisé son style : plans fixes à hauteur de tatami, composition géométrique des plans fondée sur des surcadrages permis par l’architecture intérieure japonaise, composée de portes coulissantes et rehaussés par les tissus d’intérieur reprenant des motifs géométriques, champs-contrechamps frontaux dans lesquels les personnages font face à la caméra, plans vides de décors extérieurs qui s’intercalent entre les séquences, représentant des sortes de ponctuation, et que Noël Bruch a baptisé les « pillow shots ». Autour de ce langage cinématographique très simple, épuré à l’extrême à mesure qu’avançait son œuvre, Ozu a construit une filmographie qui tisse et retisse les thèmes des relations familiales, de couple, d’amitié, de voisinage. En scrutant avec un systématisme méticuleux les intérieurs japonais, les repas, les verres de bière ou de saké vidés entre collègues ou amis d’enfance dans les bars après le travail, en cartographiant les relations de bureau, Ozu a cherché à montrer, à travers l’immuable, ce qui évoluait profondément dans la société. Considéré comme rétrograde par ses contemporains, Ozu ne filme pas tant le passage à la modernité qu’il ne mesure le renoncement à des codes anciens. En abordant des intrigues qui mettent en jeu le temps qui passe et les valeurs abandonnées par la jeunesse, il rend compte du point de vue des anciens sur le monde qui leur échappe, mais avec un fatalisme attendri qui le rend parfaitement universel.
L’universalité des relations familiales
« C’est une drôle d’idée d’accompagner des fiancés à la montagne. À mon époque, on n’aurait jamais pu faire une chose pareille », confie amusée Akiko à sa fille Ayako. C‘est bien dans cet écart entre génération que Ozu cherche à ausculter la société japonaise, à mesurer les changements à l’œuvre d’une génération à une autre. Et c’est la fille qui s’avérera plus conservatrice que la mère en lui déniant la liberté de se remarier après son veuvage, invoquant le respect de la mémoire de son défunt mari.
Dans Bonjour, deux jeunes frères qui ne peuvent se résoudre au refus de leur père d’acquérir un téléviseur décident de se plonger dans un mutisme total en réaction aux inepties proférées par les adultes à longueur de journée. Bonjour vient dénoncer la vacuité des politesses de voisinages en soulignant l’hypocrisie face aux commérages.
Ces deux films ressortis par Carlotta font partie des toutes dernières œuvres d’Ozu et sont tous les deux des remakes de ses propres films : Fin d’automne reprend la trame narrative de Printemps tardif (1949) en faisant passer l’actrice fétiche du cinéaste, Setsuko Hara, du rôle de fille à celui de mère endeuillée, tandis que Bonjour rejoue celle de Gosses de Tokyo (1932).
Longtemps rétif à l’utilisation de la couleur, Ozu y cède à partir de Fleurs d’équinoxe (1948). Il en fait un usage tout aussi méticuleux, se servant du mobilier et des costumes pour appliquer des touches de couleurs vives qui viennent encore parfaire ses cadres millimétrés. Les objets du quotidien que sont les bouilloires, les bols ou, dans Bonjour, le chiffonnier des enfants, prennent chez lui une telle importance dans l’image qu’ils en deviennent des protagonistes. Les plaçant souvent en amorce des plans, Ozu s’amuse à les faire sauter d’un champ à son contrechamp, soulignant l’effet de ping-pong verbal qui a cours entre les personnages. En mettant en scène les particularismes de la société japonaise des années 1940 et 1950, il fait s’échanger, de part et d’autre du cadre les questions telles que : « es-tu une bonne mère ? suis-je une bonne fille ? » qui, aujourd’hui et ici, n’ont pas perdu de leur actualité.