Cinéaste et metteur en scène de théâtre islandais dont on avait célébré un peu vite le ton superficiellement original des premiers films (101 Reykjavik, The Sea), Baltasar Kormákur s’est fait un peu plus « grand public » avec cette adaptation de La Cité des jarres, best-seller de la littérature policière scandinave. Or ce qu’offre au spectateur la facture désincarnée et sans enjeux de cette adaptation évoque irrésistiblement les arguments de vente des romans policiers qui ne viennent pas des pays de référence : France, Angleterre ou États-Unis. Nonobstant l’intérêt réel que peut présenter chacune de ces œuvres, pratiquement toutes se voient promues, au moins en France, essentiellement sur l’exotisme de leurs provenances inattendues et sur les particularismes qu’elles promettent, entre considérations générales bien identifiables par le lecteur étranger et soupçon d’originalité apporté par une observation réaliste du contemporain. Cet attirail s’ajoute évidemment à celui qui accompagne ce genre littéraire en général, dans ses incarnations actuelles : héros à la psychologie proche de tout quidam, mais avec un brin d’excentricité ; meurtres pas ordinaires ; parfois entremêlement d’intrigues qui finiront fatalement par converger au moment de la révélation finale… Des ingrédients variablement mélangés, qu’on retrouve aussi en images dans les séries policières télévisées, adaptées ou non de cette littérature.
Jar City, adaptation d’un best-seller du genre (une enquête parmi d’autres d’un personnage récurrent de l’écrivain Arnaldur Indridason), reste strictement cloisonné dans ce moule. L’inspecteur Erlendur – campé par un acteur réputé en Islande et qu’on commence à repérer chez nous, Ingvar Sigurdsson (Children, Back Soon) – est un être humain comme un autre, avec son appartement pas folichon et ses problèmes personnels à gérer (une fille toxicomane), mais aussi un enquêteur volontiers vachard, obstiné et perspicace. Son enquête est parsemée de cadavres d’aspect peu ragoûtant, de secrets ancestraux à déterrer, mais le meurtrier qu’il traque est au fond aussi humain – et un peu plus pitoyable – que lui. Et puis, l’Islande, c’est froid, c’est rude, ça compte deux habitants au kilomètre carré, ce qui ne favorise ni la communication ni la joie de vivre.
Condiments de luxe
À part ça, rien de bien nouveau sous le soleil arctique ni celui du film policier, dont ce spécimen de série pourrait aussi bien avoir été produit pour la télévision. Kormákur sert la soupe au genre avec une application de technicien consciencieux, mais sans aucune inspiration qui témoignerait d’une motivation de cinéaste derrière le projet. Il tente bien d’agiter les enjeux offerts par les particularismes locaux touchant à l’espace fait de vides inquiétants (plans aériens sur la nature rugueuse, qui pourraient être ceux d’un reportage du type « Islande, terre de contrastes ») et au temps gardien de secrets inavouables (la fameuse « Cité des jarres », banque de données génétiques sous forme de prélèvements organiques remontant sur plusieurs décennies), ramenant le territoire du film à un univers à la fois bien contemporain au nôtre et figé dans une antiquité peu raffinée. Mais l’absence dans la mise en scène de réelle envie de travailler les thématiques que l’intrigue laisse se profiler laisse ces échantillons exotiques à l’état de condiments de luxe, insuffisants à conférer une saveur à un produit bien sec.