C’est sur un petit tour de force formel que débute À la dérive : un (faux) plan-séquence partant de l’intérieur de la cale d’un yacht semi-submergé d’eau, dans laquelle Tami (Shailene Woodley) vient de reprendre connaissance, et terminant sur le pont. Une telle ouverture laisse pourtant perplexe quant à la pertinence de son exhibition esthétique (on a encore le souvenir des plans cache-misère d’Iñárritu dans The Revenant). Au regard de son sujet (la soif d’exploration infinie, et les obstacles environnementaux auxquels peuvent se heurter les aventuriers, sujet similaire à Everest, autre film de Baltasar Kormákur) on comprend qu’elle sert à instaurer un principe performatif — l’image comme prouesse plastique et technique — au risque de court-circuiter le reste du film.
L’odyssée de Tami
C’est bien l’idée de fluidité visuelle qui traverse À la dérive, enchevêtrant les temporalités au gré de raccords (que l’on suppose soigneusement préparés dans le découpage même). Après le réveil de Tami, la narration n’a de cesse d’effectuer des aller-retour entre passé — sa rencontre avec Richard, un explorateur marin qui lui propose de le suivre dans ses aventures — et présent, tel un fil remonté. Pourtant, ces confrontations temporelles ne sont pas tant perçues comme des contrecoups à l’utopie exploratrice que comme des tentatives d’absorption du choc.
Le film invite ainsi à la découverte des beautés du monde, comme s’il s’agissait d’un livre d’images. Kormákur déploie d’ailleurs beaucoup de plans carte postale (Tami, sous l’eau d’un bleu éclatant, le couple sur une île déserte, etc…), tandis que les personnages ne semblent gouvernés que par l’idée de fuite en avant. À la dérive s’avère finalement analogue à ces petits récits à sensation tournés en GoPro — récemment imités au cinéma par Hardcore Henry -, et qui témoignent d’un même mal-être esthétique : celui d’un horizon inatteignable, d’une verticalité constante, d’une soif de performance (technique, iconique et sportive) insatiable.
Sous vide
L’ouverture clinquante du film concentre finalement tout son programme esthétique : d’une part, l’illusion de continuité narrative et cinétique, et d’autre part, une timide réflexion sur les régimes de vérité de l’image — le terrain favori de Brian De Palma, déployé de manière similaire dans Snake Eyes grâce à un ébouriffant plan-séquence dont la continuité artificielle (des raccords camouflés, comme chez Hitchcock dans La Corde) servait à contrarier le principe du « tout visible » comme vecteur de vérité. Cet entrelacement entre flashbacks et récit premier sert ainsi un numéro d’illusionniste sur la teneur réelle des événements (que nous tairons tout de même pour laisser la surprise). Kormákur avait donc bien plusieurs modèles à suivre, mais en voulant peut-être trop bien faire, il finit par doublement saborder son film. Sa mise en scène, excessive puisque surchargée d’intentions trop visibles, n’est en mesure que de livrer des panoramas, comme si le dispositif tournait à vide, ne laissant plus que la possibilité, pour ses spectateurs, de se contenter d’images à consommer.