L’île de Flatey n’est pas l’île de Fårö, et Kormákur n’est pas Bergman. Pourtant, il a essayé. Avec ce nouveau film, le chef de file du cinéma contemporain islandais parie sur Tchekhov et adapte librement Ivanov, sans jamais atteindre l’ombre de la cheville du cinéaste suédois. Si elle n’est pas condamnable – quelle gageure ! – cette défavorable comparaison joue en permanence contre White Night Wedding, un projet bien trop ambitieux au regard de ses maigrelettes épaules.
Sans doute parce que le titre Mariage à l’islandaise était déjà pris, les distributeurs nous ont épargné cette fois la mode de l’épithète national pour désigner un film provenant de contrées considérées exotiques (la Suède ou la Pologne, membres de l’UE, en font bien entendu partie ). Qu’ils en soient ici sincèrement remerciés, au nom de tous les autres films mutilés. La bonté s’arrête cependant là puisqu’une monstrueuse affiche explore les méandres de l’absurde en affichant pas moins de quatre polices différentes dans un montage Photoshop surréaliste. Outre l’aspect avarié du concept, l’impact est bien mal choisi : s’attendant à une comédie loufoque, le spectateur achalandé sera bien déconfit de découvrir un film plus proche d’Antichrist que de Coup de foudre à Notting Hill. Car ne nous le cachons pas, ce film est plutôt malsain.
Jón est un enseignant de philosophie à l’Université de Reykjavik. Plongé dans ses atermoiements kierkegaardiens, le bonhomme est drôlement torturé. Il s’apprête à convoler en justes noces avec une ancienne étudiante, tentant par là d’oublier une ancienne union avortée. Sur l’île isolée de Flatey se rejoint une ribambelle de stéréotypes sur pattes : la belle-mère grippe-sou, le beau-père débonnaire, le témoin obèse et ivre, le pasteur frustré… Passons sur ces caractérisations stagnantes qui, finalement, ne tiennent pas leurs promesses car d’exubérance, on n’en verra que le bout d’une trompette mal vissée.
La véritable ambition du réalisateur est de mêler à des faits du passé issus de la liaison de Jón avec une épouse cyclothymique un présent aux allures trop lisses. Cette résurgence de la mort dans un paysage idyllique présente un fort potentiel tragique, cependant trop peu exploité pour tenir le film hors de l’eau. Monté au hachoir – un peu à la manière de l’alambiqué Jar City – White Night Wedding perd son auditoire alors qu’il cherche à le confondre : la frontière est mince entre le trouble fascinant des pertes de repère et la frustration légitime. Une autre explication du dépit est simple : tout cela est si invraisemblable et barbant qu’on se fiche comme d’une guigne de l’ex sortie des limbes et de la nouvelle mariée aussi charismatique qu’un poulpe alcoolique. Et les merveilleux paysages islandais n’y changeront rien.
Là où Bergman réussissait à tisser des tensions pathologiques et fascinantes entre ses personnages, Kormákur ne peut que les singer : montés sur des ressorts trop visibles, ses êtres récitent une partition morte-née. Au détour d’une micro-sieste, le spectateur pourra réellement se demander s’il n’assiste pas à une resucée du Mondial de foot : une confrontation prometteuse qui se transforme en un concours de transversales en tribune et de tirs mal ajustés. Un bon gros 0 – 0 qui tache.