Après la fresque Cloud Atlas, sa valse de moumoutes et son éthologie migraineuse, Lana et Andy Wachowski renouent avec ce qu’ils savent faire de mieux : plaquer leur prêchi-prêcha voltairien sur un fond vert. Soit la destinée de Jupiter, Cendrillon promue reine de l’Univers en un coup de baguette magique, dont la lourde tâche consiste à sauver l’humanité d’une imminente moisson qui l’enverra tout droit dans des bocaux de sérum régénérant à usage extraterrestre. Une élue de plus – après Neo alias Keanu Reeves et Speedy de Speed Racer –, une histoire de complot intergalactique, de sommeil dogmatique et de malins génies, bref : un scénario des Wachowski’s. Sauf que ce fond vert, que d’autres recouvrent vite fait bien fait des mêmes tapisseries numériques, ils sont parmi les seuls à en avoir fait leur terrain d’expression. Tous leurs films, Cloud Atlas excepté (coréalisé avec Tom Tykwer, ceci expliquant peut-être cela), ne visent qu’à aspirer le spectateur dans un ouragan de nappes versicolores pour mieux le recracher sonné sur des dialogues casse-têtes, avant de lui repayer un tour de Space Mountain ébouriffant. À dosage égal, on en vient à se demander qui du scénario ou des effets spéciaux traîne l’autre comme un boulet. Une équation « scénario nunuche + avant-gardisme numérique » plus ou moins heureuse, dont on ne préférera retenir, dans les pires des cas (à la liste desquels vient en partie s’ajouter Jupiter), que les prouesses technologiques. Une manie d’artisans high tech qui aura au moins fait des frangins les premiers grands coloristes du blockbuster numérique.
Roller-coaster
C’est dire si Jupiter : le destin de l’Univers, qui défie le tandem au jeu du space opera, se prêtait à l’exercice wachowskien. Le film ne garde de la parenthèse Cloud Atlas que les postiches, dont Channing Tatum est presque intégralement recouvert, pour mieux reprendre à doses homéopathiques le chemin des montagnes russes dévalées par Speedy. Car sous ses airs de retour à la fable philosophique, Jupiter tient autant de Matrix que de Speed Racer. Mais à ce petit jeu, le second l’emporte sur le premier, dont l’influence ne se mesure qu’à une parenté scénaristique – en plus bâclé. Au contraire, c’est dans les scènes d’action que résonne l’influence de Speed Racer; or, on sait depuis Matrix que le génie des réalisateurs doit en passer par l’action pour libérer toute sa virtuosité rococo. Ironie du sort, le film ne brille pas pour ses corps-à-corps, qui avaient valu à leur premier succès son titre de « film-révolutionnaire », mais pour ses courses étourdissantes, à la limite de l’abstraction. La première de toute, qui ondule entre les buildings de Chicago à la nuit tombée, ne souffre peut-être d’aucune comparaison : dans une arène réfléchissante, les vaisseaux s’évanouissent sous les traînées fluorescentes, et tandis que le tempo accélère, les boussoles de la mise en scène se dérèglent au point d’exploser dans une grand-messe pyrotechnique.
Adulescents
Dommage qu’à la différence de Speed Racer, qui trouvait dans l’exercice du film pour enfant une excellente occasion de tourner à vide, Jupiter reste chevillé à toutes les vieilles marottes qui ont fini par faire des réalisateurs les has been qu’ils n’auraient jamais dû devenir. Incapables de renouveler leur univers, les personnages semblent sortis d’un scénario de l’an 2000, pour ne pas dire de 1997 et du Cinquième Élément de Luc Besson – dont le personnage de Gary Oldman ressemble comme deux gouttes d’eau au final boss de Jupiter. À cela s’ajoute un goût du grotesque apparu avec Cloud Atlas, qui de la coloration certifiée farces et attrapes de Channing Tatum, au bain de sérum blanchâtre et visqueux (oui, oui, c’est extrêmement suggestif), n’arrange pas leur cas. Heureusement que ces négligences cosmétiques n’enlèvent rien à leur talent brut de metteurs en scène, mais on les préfère dans des registres enfantins, quand rien ne les empêche de donner libre cours à leur penchant expérimental : on pense encore aux décharges flamboyantes d’un Speed Racer éclairé au sabre laser, qui n’hésitait pas à laisser couler le robinet de pixels. Une virtuosité qui aurait pu en faire de sérieux concurrents à J.J. Abrams, au moment de prendre les commandes du nouveau Star Wars, si seulement Larry n’avait pas eu l’idée de devenir Lana. Un geste probablement perçu comme suicidaire aux yeux de l’industrie du grand spectacle, dont LucasFilm est un des plus gros bénéficiaires. À moins qu’Abrams n’ait été désigné pour sa propension à renouveler des univers dont l’intérêt survivra aux deux heures du film. Une endurance qu’Andy et Lana peuvent difficilement lui disputer, eux qui n’avaient réussi qu’à fissurer l’édifice Matrix avec deux suites étalées au rouleau à pâtisserie. Quand Abrams ouvre des boîtes de Pandore mythologiques, eux les referment passé le générique de fin. Un handicap rédhibitoire pour emboîter le pas de Lucas, mais pas pour le cinéma des Wachowski’s, qui puise son élixir d’un intarissable geyser de pixels – en honnêtes Saoudiens du blockbuster numérique.