Quelques jours avant la présentation cannoise de Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese s’est fendu d’une étonnante déclaration : « I’m old. I want to tell stories, and there’s no more time. » Aussi émouvante soit-elle, cette confidence prend une autre couleur après la découverte de sa dernière fresque. « Raconter une histoire », ce n’est pas tout à fait la même chose que « faire un film » ; les œuvres les plus passionnantes de Scorsese ont justement pour elle de raconter quelque chose par la mise en scène qui ne saurait pleinement se recouper avec la surface du scénario. Spoiler (on conseille à celles et ceux qui souhaiteraient en savoir le moins possible d’interrompre illico presto leur lecture) : à la toute fin de Killers…, Scorsese intervient lui-même durant l’enregistrement d’un faux épisode d’une émission radiophonique pour apporter sa conclusion à l’affaire retracée. Plus encore qu’un metteur en scène, le cinéaste y apparaît comme un vieux conteur qui, l’œil ému, évoque la tragédie d’une femme et avec elle de tout un peuple, les Indiens Osage, victimes d’assassinats visant à les dépouiller de leurs terres gorgées de pétrole. La scène (la meilleure du film ?), d’abord amusante, s’achève ainsi sur une note ambivalente, voire décevante : le discours de Scorsese frappe d’autant plus que son apparition constitue l’effet de signature auteuriste le plus évident du film. Si la maestria du storytelling scorsesien reste impressionnante (encore que la narration ne décolle réellement que dans la seconde moitié), force est de constater qu’il s’agit, sur un plan formel, d’un tout petit Scorsese.
Ce récit, le cinéaste l’a au fond beaucoup filmé : il s’agit d’une variation sur Les Affranchis qui se distingue essentiellement par son ancrage dans une réserve indienne et le personnage d’idiot campé par DiCaprio, dont la part de déni confère au déploiement de la mécanique narrative une certaine ambiguïté. Dommage que le gros du film soit routinier, pour ne pas dire académique, jusqu’à l’apparition des agents du FBI (autour desquels se concentrait la première mouture du scénario), qui vient relancer la dynamique de l’écriture. C’est la première fois devant un film de Scorsese que l’on a le sentiment qu’aucune séquence ou presque ne se détache : le cinéaste s’intéresse moins au détail des scènes qu’au déroulé, certes assez implacable, d’une trame dénuée de réelle embardée, à l’exception de cette conclusion transformant les traditionnels cartons explicatifs en une petite polyphonie ludique. Reste le casting, inégal : Lily Gladstone impressionne d’abord beaucoup, mais son personnage est hélas un peu trop vite relégué au rang de figure secondaire. Et si l’on se réjouit du retour en forme de De Niro (qui trouve son meilleur rôle depuis… depuis quand, déjà ?), on grimace devant l’interprétation en dents de scie de DiCaprio, perclus de tics et le visage figé dans un sourire inversé. Puisque de son aveu même Scorsese n’a plus beaucoup de temps pour assouvir son appétit de cinéma, on est en droit d’en attendre (beaucoup) plus de sa part.