Des déambulations de Taxi Driver jusqu’au road trip de The Irishman, le mouvement chez Martin Scorsese a toujours été rattrapé par l’horizon de la fixité. Les derniers films du cinéaste se sont attelés à mettre en scène cette tension par l’entremise d’une collision, souvent violente, entre deux objets lancés à pleine vitesse.
1) C’est une scène mémorable d’Aviator. En plein tournage des Anges de l’enfer, Howard Hughes (Leonardo DiCaprio) monte à bord d’un avion pour diriger une séquence de bataille aérienne. Une fois dans les airs, une caméra fixée sur l’avion de Hughes entre en collision avec un autre appareil. Ce n’est toutefois que le caisson de la bobine qui est emporté par l’impact, tandis que la pellicule, toujours attachée au reste de la caméra, forme une ligne flottant dans les airs. Cette ligne vient figurer le passage de l’avion et s’affirme comme la trace d’un mouvement passé qui subsiste à l’image grâce à la collision. Hughes oriente alors une nouvelle caméra sur un autre avion accidenté qui laisse s’échapper derrière lui une ligne de fumée. Ce qui semble dès à présent intéresser le jeune producteur, devenu cadreur le temps de quelques plans, n’est plus l’avion en tant que tel (des dizaines d’autres volent autour de lui), mais plutôt la trace de son passage. La destinée tragique d’Howard Hughes dans Aviator sera conditionnée par cet événement : après avoir compris que la collision permettait de rendre visible le mouvement, le jeune homme n’aura de cesse de se mettre lui-même en danger dans l’espoir de subsister dans le champ des images.


2) L’une des premières séquences des Infiltrés dépeint la formation que suivent Colin Sullivan (Matt Damon) et Billy Costigan (Leonardo DiCaprio) en vue de devenir agents de la police de Boston. Le premier plan voit Sullivan assister à un cours où est tracé au tableau la trajectoire d’une balle lorsqu’elle pénètre la chair. Au-delà du caractère annonciateur de la séquence (les deux hommes seront tués par balle à la fin du film), elle synthétise tout l’enseignement qui leur est promulgué durant leurs classes : celui d’un corps (la balle du policier) destiné à entrer en collision avec un autre (la chair du malfrat). Cette modalité d’instruction est mise en application lors des entraînements au tir qui s’immiscent dans le montage, mais aussi lors des matchs de rugby qui mettent en scène Sullivan épousant la trajectoire d’une balle. Le rugby consiste précisément en un impact entre deux corps (l’un destiné à être plaqué par un autre) et entre deux groupes distincts (les deux équipes qui se font face dans la mêlée) – d’autant que le montage alterné de la séquence vient ici mettre en exergue deux individualités qui s’entrechoquent. Toute la suite du film donnera à voir un va-et-vient entre ces deux corps mis en mouvement au sein de deux groupes opposés, alternance qui finira par aboutir à une confrontation inévitable.


3) Là où l’ouverture du Loup de Wall Street donne à voir un corps lancé comme un projectile par le héros scorsesien (un nain sur une cible), un champ-contrechamp situé dans le dernier tiers du film place Jordan Belfort (Leonardo DiCaprio) face aux dégâts causés par son ascension. Secouru après avoir tenté de braver une tempête pour rejoindre à la hâte Monaco puis la Suisse, Belfort regarde derrière un hublot l’orage en train de s’abattre à l’extérieur. À cet instant, le jet privé commandé pour l’emmener en Suisse explose sous ses yeux. C’est le coup de téléphone de trop pour celui qui, jusqu’à présent, s’est contenté d’arnaquer ses victimes à l’autre bout du fil. Malgré ses efforts préalables pour s’accaparer la fiction en reléguant ses proies dans le hors champ, la destruction causée par le Loup resurgit violemment jusqu’à ce que l’explosion de l’accident, par la surface transparente et réfléchissante du hublot, s’imprime à même son visage pour former des larmes enflammées. Ce champ-contrechamp s’affirme alors comme le vecteur d’une collision rabattant les cartes entre Belfort et les victimes de sa gloutonnerie capitaliste. Dans la séquence suivante, le chef d’entreprise se mettra en scène dans une publicité aguicheuse avant d’être, comme les rugbymen des Infiltrés, plaqué au sol par la police. La caméra, complice du multi-millionnaire, subira le même sort