C’est devenu une lapalissade : dans le ciel de l’entertainment jeune public en images de synthèse, il y a Pixar, ses scénarios délicieusement originaux et son inventivité sans cesse renouvelée, et puis il y a les autres, qui s’enlisent à répétition dans les vieilles recettes du genre, non sans un certain puritanisme. Ce truisme, longtemps en vigueur, semble parfois s’émailler, à la faveur d’une création souvent plus diverse et composite qu’on voudrait le faire croire : Blue Sky (Horton), DreamWorks Animation (Dragons), ont ainsi, dernièrement, fait des propositions plus fantaisistes et inspirées que de coutume – toutes proportions gardées. De son côté, Pixar ne projette à un horizon proche que des suites, stratégie qui a pu aboutir à de belles réussites mais reste un terrain glissant. Kung Fu Panda 2, à la lumière de ces constats, est une surprise en demi-teinte.
Ceinture noire
Po, leading character balourd et grossier, l’expose dangereusement au risque de sombrer dans l’énorme farce. Heureusement, les scénaristes Jonathan Aibel et Glenn Berger savent mettre de côté les ressources plus ou moins comiques de leur peluche obèse quand c’est de rigueur. C’est grâce à ce dosage bienvenu que le second volet creuse donc quelques pistes autour de Po, Shifu et les cinq cyclones. Dans cette espèce d’immense parc d’attractions bâti par DreamWorks autour de l’imaginaire asiatique, les choses ont changé. Po n’est plus (trop) l’indésirable cochon parmi les colombes du kung-fu. En marge de ceux qui sont maintenant ses égaux, il se met en quête de son identité, hanté par un drame d’enfance que sa mémoire reconstitue difficilement. Il doit en démêler les nœuds, et c’est à cette condition floue qu’il vaincra ses démons et l’infâme paon Shen, pirouette scénaristique qui met avantageusement toutes les forces d’opposition au héros dans le même sac, et il n’y a plus qu’à descendre les poubelles.
Tout comme le premier volet, Kung Fu Panda 2 parvient étonnamment à osciller entre l’aventure et la comédie, l’un ne marchant pas trop sur les pieds de l’autre. Le maintien de cet équilibre de ton est d’ailleurs d’autant plus surprenant que tous les ingrédients étaient réunis pour faire dans la farce guignolesque. Par chance, donc, Po est drôle quand il le faut, et sérieux quand l’intrigue l’exige. Ces charges étant plutôt respectées, on atteint régulièrement de vraies situations de tensions, et on rit aussi volontiers, bien que le film ne cache pas son attachement à la blague tendrement grivoise, pour un cœur de cible qui doit sûrement culminer à douze ans.
Mais nous parlions en introduction de demi-teinte. Les réussites timides mentionnées sont moins de réels succès que la simple surprise de voir le film éviter les pièges à loups disséminés dans le scénario, ce qui n’en fait pas autre chose qu’un produit de divertissement très conformé. Et même si ces considérations sont parfois discutables, la nouvelle donne est également dotée d’un fond puritain assez jumeau de celui du premier épisode de la saga. C’est aussi bien allègrement que Kung Fu Panda 2 actualise la tradition de s’essuyer les pieds sur le film dont on propose une suite, en réévaluant au rabais les enjeux du premier volet, ici repris et engraissés. On peut appeler ça de la boulimie narrative : les montagnes (Shifu, les cinq cyclones) deviennent les collines de nouvelles montagnes plus grandes, la ville n’était finalement qu’un village, et les scénaristes préfèrent la surenchère à la variation. Plutôt qu’un monde enrichi, un monde augmenté.
À l’arrivée, Kung Fu Panda 2 est un film à deux vitesses : celle des mauvais réflexes des studios de DreamWorks Animation, leur puritanisme dormant, leur gamme de personnages lourdingues et leur cahier des charges ultra-répétitif ; et celle d’une étonnante tenue du scénario, qui esquive souvent les pièges qui lui sont tendus, et étoffe certaines facettes moins évidentes de son personnage principal. C’est d’ailleurs, réjouissons-nous-en, la tonalité indiquée par l’appel du pied que le film lance à sa probable suite. Kung Fu Panda, ou comment une saga essaye tant bien que mal de doubler ses démons, sans jamais pouvoir complètement s’en débarrasser.