Pas d’été cinématographique sans dessins animés. Logique car les enfants représentent une audience très lucrative. C’est pourquoi les majors s’efforcent chaque année de leur donner en pâture un nouveau bestiaire déclinable en peluche, jouet, jeux vidéo etc… Les films estampillés DreamWorks se démarquent de leur concurrent Pixar par un manque absolu de saveur dans la mise en scène, des idées faussement subversives et une morale bien-pensante à laquelle ce Kung Fu Panda, pourtant prometteur, n’échappe pas…
Nous ne parlerons pas du voice casting américain de Kung Fu Panda qui réunit rien moins que Jack Black, Dustin Hoffman, Angelina Jolie et Jackie Chan, puisque le film nous a été présenté en V.F. Et les distributeurs, pour pallier le manque à gagner que provoquent les impératifs commerciaux, ne trouvent rien de mieux que de compenser le star system hollywoodien par le petit vedettariat hexagonal. Ainsi, l’affiche française du film annonce fièrement que les personnages sont doublés par Manu Payet, Marc Lavoine, Tomer Sisley, Marie Gillain etc… (seul Pierre Arditi apporte un semblant de dignité à cette assemblée). Mais on ne va pas se formaliser pour si peu. Critiques dont le professionnalisme est le seul mot d’ordre, nous parlerons du film quoi qu’il en soit, dussions-nous le voir en ouzbek sous-titré en mandarin. C’est aussi ça Critikat.
Il n’est pas certain en revanche que la V.O. eût donné au film tellement plus d’intérêt. Car concernant les productions du département animation de studio DreamWorks (créé il y a une quinzaine d’années par Jeffrey Katzenberg, David Geffen et Steven Spielberg), un étrange transfert s’est opéré. Tandis que les productions Disney sont revigorées par la fraîcheur des films Pixar – qui rompirent avec la traditionnelle niaiserie et le puritanisme ronflant – DreamWorks a repris le douteux flambeau moralisateur. À la fin de Shrek, par exemple, l’ogre et la belle princesse pourront s’épouser seulement si l’un d’eux se métamorphose en l’autre. C’est la princesse qui sera choisie pour devenir ogresse, les scénaristes croyant par cette astuce montrer leur désinvolture mais ne faisant que retourner le gant de l’horrible cliché raciste où l’union de deux êtres différents est impensable. Dans Bee Movie (pourtant co-écrit par le très drôle Jerry Seinfeld), les abeilles décident de s’affranchir de l’exploitation des hommes et de prendre du bon temps avant de se rendre compte que leur condition d’esclave est le seul moyen de maintenir l’équilibre dans le monde, illustration parfaite du fantasme capitaliste. Et ainsi trouve-t-on dans Kung Fu Panda, un panda balourd désigné héros du film par le vénérable maître tortue, et qui aura pour mission d’anéantir un tigre féroce dont l’unique crime aura été d’être un peu trop orgueilleux pour le goût du vieux reptile à carapace. Bref, c’est le patriarche qui distribue ici bons et mauvais rôles, auxquels il faut se résoudre. Vouloir donner sa chance au gros nounours pour qu’il puisse accomplir son rêve, c’est bien. Détruire les rêves de l’athlétique félin et en faire la brute du film car il ne correspond pas au quota, c’est révoltant. C’est le revers de l’idéal américain : n’importe qui peut réussir, mais toujours au détriment d’un autre, le tout sur fond de choix de sa destinée avec comme mot d’ordre l’axiome rance : « Quand on veut, on peut. » Inutile de préciser que la mise en scène n’apporte pas vraiment de distance à tout ça tant elle est bien trop impersonnelle et mécanique, et que le conservatisme ambiant sert certes de prétexte à tout un tas de gags plus ou moins drôles mais n’en reste pas moins le discours assumé du film (étant donné que personne n’ose le déjouer).
On rétorquera que tout cela n’est pas bien grave, qu’il s’agit juste d’un dessin animé, qu’après tout, ce n’est fait que pour faire rire les enfants. Innocemment. Mais c’est justement parce que la pire des mentalités se cache derrière le voile de l’innocence, justement parce que les idées manichéennes s’implantent directement dans la tête de nos chers petits sarkozistes en devenir, justement parce que la critique fainéante feindra de ne rien voir et que tout le monde gloussera gentiment comme si de rien n’était devant les facéties de cet affreux panda, que nous nous devons d’être virulent. Dussions-nous être les seuls. C’est aussi ça Critikat…