Avec une moyenne de trois longs métrages par an, DreamWorks a donc à son actif un répertoire trois fois supérieur à celui de son concurrent direct, Pixar. Preuve en est faite une nouvelle fois : rien ne sert de courir… Que le scénario de ce Monstres contre Aliens soit simpliste, criblé de péripéties téléphonées pour combler les trous, passe encore. Mais lorsque cette médiocrité se pique de délivrer un sous-texte qui se révèle des plus sexistes, cela passe réellement les bornes.
Délicieuse idée que celle qui préside à ce Monstres contre Aliens : reprendre, sans les nommer, de grands monstres des années 1950 et les associer pour la bonne cause. Jugez plutôt du casting : un scientifique transformé en cafard suite à des expériences malheureuses ; un humanoïde retrouvé dans la glace aux tendances inquiétantes ; une tomate génétiquement modifiée transformée en gélatine géante omnivore et affamée ; un insecte muté devenu titanesque et récupéré après avoir voulu détruire Tokyo ; et enfin une femme transformée en géante par une énergie extraterrestre. Soit, dans l’ordre : La Mouche noire, La Chose d’un autre monde, Le Blob (ici prénommé B.o.b.), Godzilla (avec même un soupçon de Mothra la mite géante), et enfin L’Attaque de la femme de 50 pieds. Et toute cette belle équipe doit faire face aux velléités conquérantes d’un ignoble potentat extraterrestre bien comme il faut.
Tout cela fleure donc bon les Fifties – d’autant que la direction artistique fait la part belle au dépouillement caractéristique de cette époque. Malheureusement, à trop vouloir se créer de héros, le film ne parvient à donner réellement corps qu’à Insectosaure, le Godzilla local (certainement du fait de sa relative absence de l’écran), et bien sûr à Genormica – Suzanne, notre belle mariée-en-devenir de 50 pieds. Si l’on excepte un président des États-Unis en roue libre, le reste du casting manque infiniment de corps, d’identité. L’explication peut en être remarquablement cynique : puisque le film est officiellement destinée aux enfants à partir de 6 ans, autant ne pas s’encombrer de trop de finesse dans l’écriture – plus ça pétarade à l’écran, mieux c’est, nul n’est besoin de travailler ses personnages.
Refusant donc le croisement entre La Ligue des Gentlemen Extraordinaires et Mars Attacks !, Monstres contre Aliens va se rabattre sur la recette manifestement devenue traditionnelle chez DreamWorks : le récit à morale bien-pensante. Il est bien loin, le temps drôle et irrévérencieux des deux premiers Shrek. Le troisième épisode de la franchise, bien sage, distillait doucement une idéologie passablement sexiste (les femmes, fussent-elles ogresses, à la maison !). Le récent Kung Fu Panda faisait quant à lui subrepticement l’apologie d’un conformisme qui triompherait sur le dos de ceux qui oseraient une pensée dissidente. Monstres contre Aliens, avec son héroïne qui – en plus de devenir grande de 15 mètres – prend conscience de la méchanceté et de l’égoïsme des hommes, était l’occasion rêvée de redresser la barre, de conserver le sous-texte émancipateur du film de Nathan Juran. Suzanne, hélas, ne choisira finalement pas de se mesurer à ces hommes menteurs, méprisants et manipulateurs, mais bien de rejoindre le camp des monstres. La belle choisira à un moment entre redevenir humaine ou rester géante – et son choix apparaît comme dicté par son héroïsme, son amitié… Mais sa véritable monstruosité, celle qui va la condamner à rejoindre à jamais, et avec le sourire, le camp des monstres, est son renoncement à se battre pour sa place dans une société phallocrate – sa monstruosité, c’est d’être une femme qui a choisi de s’opposer au mâle. Et ces femmes-là, chez DreamWorks, on les cache : à la cuisine, dans un camp de monstres, n’importe où, mais loin des regards.