Ce film a tout de l’époque 1935 : images en noir et blanc, fondus enchaînés rythmant les différentes scènes, utilisation du même découpage-collage humoristique déjà utilisé par le réalisateur dans son chef-d’œuvre Duck Soup (La Soupe au canard, 1933) dans lequel s’illustrent les Marx Brothers. Charles Laughton incarne le valet Ruggles dans une interprétation du type british « pince sans rire » désopilante.
Perdu aux cartes par son maître anglais le comte de Burnstead, Ruggles doit partir avec ses nouveaux maîtres à Red Gap, ville paysanne du nord de l’Amérique. Quand Ruggles doit apprendre les bonnes manières à Egbert Floud à la demande d’Effie Floud qui ne supporte plus le comportement rustre de son mari, c’est pourtant lui qui va être initié aux joies terrestres qui étaient jusque là défendues aux hommes de sa condition. De beuveries en scènes comiques, Ruggles chemine vers sa liberté.
Si la première scène se déroule à Paris où la domesticité est d’actualité, c’est à Red Gap que Ruggles acquiert le statut d’homme libre et profite de son indépendance rendue pour ouvrir un restaurant. Cette comédie reflète le climat libéral de l’Amérique où tous les possibles s’ouvraient alors aux individualités. C’était à cette époque, pour tous les émigrés, la Terre de la liberté. L’Américain Egbert Floud incarne l’attitude progressiste de l’époque. De véritables scènes « extravagantes » naissent du comportement trop amical du maître envers son domestique et offrent un admirable duo comique. La différence des manières rustres d’Egbert et celles maniérées et hautaines de l’Anglais Ruggles va pourtant s’annuler dans le discours sur l’égalité des hommes de Lincoln à Gettysburg.
Scène centrale du film, le discours de Lincoln récité entièrement par Ruggles, descendant de plusieurs générations de domestiques, est le pivot de ce portrait propagandiste d’une Amérique pionnière des libertés individuelles. Ce que semble dire en substance Leo McCarey est que l’Europe concourt à l’inégalité des hommes entre eux, quand l’Amérique rend tous ceux qui foulent son sol définitivement libres. Ruggles recouvre sa dignité par le succès de son restaurant : c’est la libre entreprise capitaliste qui est ici prônée.
L’humour est chez McCarey un chemin tout tracé vers la connaissance intime des personnages, de ce qui les sépare et surtout de ce qui les unit. Les personnages acquièrent une profondeur grâce au comique des scènes qui fait ressortir les travers mais aussi l’humanité de chacun. Même la trop snob Effie Floud parvient à être touchante grâce au regard amusé que porte le réalisateur sur ses personnages. Longtemps éclipsée par le maître du genre Frank Capra, l’œuvre de Leo McCarey est à (re)découvrir.