Plutôt inégal dans ses projets, Leo McCarey livrait en 1958 une comédie aussi fantaisiste que débridée sur les dérives du conservatisme américain des années 1950. Inventive et dynamique, la mise en scène est un joli condensé d’absurde tandis que les acteurs, parmi lesquels on retrouve le couple Newman/Woodward dans un registre inhabituel, prend un plaisir communicatif à tourner en dérision les névroses de leurs compatriotes.
Génie comique auréolé de succès dans les années 1930, Leo McCarey a marqué l’histoire de la screwball comedy avec des fantaisies intemporelles telles que L’Extravagant Mr Ruggles (1935) ou encore Cette sacrée vérité (1937). Mais l’auteur de la célèbre Soupe au canard avec les Marx Brothers (1933) s’était progressivement retiré de la production hollywoodienne après la Seconde Guerre mondiale, ne réalisant que quelques films un peu datés et depuis oubliés. En 1957, il prend tout le monde de court en réalisant ce qui est aujourd’hui considéré comme l’un des plus beaux films d’amour de l’histoire du cinéma : Elle et Lui. Regonflé par ce succès inattendu, Leo McCarey décide de réinvestir le terrain de la comédie loufoque en s’adjoignant les services de Paul Newman et Joanne Woodward, couple à la ville depuis peu. Là où on aurait pu craindre une resucée poussive du savoir-faire passé de Leo McCarey, le réalisateur fait preuve d’une fantaisie débordante pour dépeindre avec une bonne dose d’absurde les dérives conservatrices des mœurs de ses contemporains. Paul Newman, qu’on imaginait difficilement à l’aise dans ce registre, déjoue tous les pronostics.
Il y incarne Harry Bannerman, homme séduisant et a priori comblé par son mariage avec Grace (Joanne Woodward). Seulement, cette dernière a pris la fâcheuse habitude de s’investir dans toutes les actions municipales de la petite ville de l’état de New York où ils sont établis depuis de nombreuses années. Sa dernière lubie ? Présider le comité qui entend s’opposer à l’installation d’un camp militaire voulu par Washington pour des expériences en tout genre. La raison ? Ce camp amènerait trop de jeunes soldats susceptibles de mettre l’honneur des jeunes filles de bonne famille en péril. Impliqué malgré lui dans ces revendications d’un autre âge, Harry est envoyé en mission dans la capitale pour convaincre l’armée de trouver un autre terrain. Sur place, il découvre que la pétillante et séductrice Angela (Joan Collins, la future héroïne du feuilleton Dynastie), pourtant amie de la famille, s’est fait passer pour Grace auprès du personnel de l’hôtel où Harry séjourne. C’est donc le plus naturellement du monde qu’elle l’attend en petite tenue, mettant le mari dans une position bien compliquée lorsque sa femme tente à son tour de lui faire une surprise en débarquant à l’improviste. Après avoir découvert le pot aux roses, elle ne donne pas à Harry la moindre possibilité de se justifier – il faut reconnaître que toutes les apparences sont contre lui – et exige le divorce.
On se dit alors que tous les canevas du vaudeville sont là : quiproquos, portes qui claquent et liaisons dans le tiroir. Pourtant, le propos de La Brune brûlante dépasse allègrement ces lieux communs pour trouver sa force dans la farce absurde, tournant en dérision le bien-pensant, chaque frustration individuelle devenant une belle réserve à gags et malentendus. De la part de Leo McCarey, qui garde malgré tout l’image d’un certain conservatisme (son film Place aux jeunes en 1937 était à la limite du jeunisme), on n’espérait pas autant de fantaisie. Dynamique, voire survoltée, la réalisation fait la part belle aux détails. Au tout premier ou à l’arrière-plan, quelque chose vient toujours entraver le bon déroulement des événements : le passage d’un chat noir lors d’un discours, un enfant qu’on suspend par les pieds pour lui faire recracher quelque chose, etc. Mais la grande force du film repose également sur l’abattage des comédiens : Paul Newman, en mari trépidant dépassé par les événements, Joanne Woodward, en femme au foyer à la fois directive mais à côté de la plaque, et surtout, Joan Collins, en vamp très camp, qui n’hésite jamais à se fourrer dans les situations les plus absurdes (son imitation d’une opératrice répétant un message d’information vaut son pesant d’or). Ce fut là l’un des derniers coups d’éclat de Leo McCarey qui prit de nouveaux ses distances avec les Studios après cette ultime réussite qu’on redécouvre aujourd’hui avec un plaisir certain.