L’hétéroclite Olivier Assayas revient à ses années de jeunesse dans Après Mai, signant un constat de désenchantement post-Mai 68. Art ou politique, idéaux et mise en pratique, ces éternelles questions font la trame de ce revival seventies, à la recherche d’un mouvement perdu.
Quels films sont encore possibles sur les idéaux de Mai 68, époque de bouillonnement que le cinéma (Zabriskie Point, La Chinoise…) a déjà amplement enregistrée sous tous ses aspects ? Faire un film aujourd’hui sur cette période pose toujours la question de sa permanence, entre ce qui s’est définitivement perdu et ce qui peut encore perdurer. En se concentrant sur les tentatives de consolidation du mouvement de Mai qui ont suivi, Assayas en développe donc le versant problématique, l’idée délicate de son effritement. Dans cette quête de pérennité du mouvement (des idées, de l’enthousiasme), Assayas revient au cœur de sa propre obsession : comment saisir le mouvement sans le dissiper ?
Un tel film a deux écueils qu’Assayas évite plutôt bien : soit la relecture cherchant délibérément les raccords avec l’époque et contrefaisant l’histoire, soit tourner le dos au présent dans un élan rétrospectif, nostalgique, infructueux. Le film n’en laisse pas moins l’impression d’un épuisement de figures, de motifs. Cette jeunesse qui se désespère de trouver une voie à elle n’a au fond jamais cessé d’être au cours des décennies. La question qui se pose alors est de savoir si revenir au contexte des années 1970 est une option pertinente et peut réellement fonctionner comme un récit d’apprentissage un peu mythologique. Oui et non : l’amertume est la même (une affiche indique « Une jeunesse que l’avenir inquiète trop souvent ») mais les certitudes qui animent les personnages, chacun s’orientant vers une voie déterminée, semblent des chemins presque trop balisés et transforment les convictions en un sérieux qui étouffe l’idée d’expérimentation qui les sous-tend. Sans compter que la reconstitution (des AG notamment) ne se fait pas sans raideur, à moins d’aller chercher du côté de la direction d’acteurs d’un Philippe Garrel.
Assayas construit son récit sur un judicieux champ de possibles en partant d’un groupe de jeunes lycéens anarchistes : Gilles (Clément Métayer), le héros et alter ego, au carrefour entre engagement politique et expérimentations esthétiques ; Alain, l’autre peintre, qui vit son road-trip afghan avec un frère et une sœur américains ; Christine (Lola Créton) qui embrasse la cause politique mais cherche le confort amoureux ; Jean-Pierre, le militant dans l’âme, inflexible ; Laure, la muse égarée dans le tourbillon sensuel de la liberté. Chacun se fraye une voie entre l’impératif du groupe et sa propre quête individuelle, opérant un écart plus ou moins grand avec l’idée de révolution et dépliant une acception possible du mouvement de Mai. Assayas organise son récit sur des fondus au noir qui désignent subtilement les écueils des certitudes, les impasses. Le casting – quasi inconnu hormis Lola Créton, découverte dans Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve – convainc sans pour autant cristalliser car, dans son élan rétrospectif, Assayas vise avant tout à retrouver un mouvement, des gestes, des postures qui ne dialectisent jamais vraiment les choix des personnages. Partir en Italie en van sur un air de Booker T and the M.G.’s, imprimer à la ronéo ses tracts tout en fumant nonchalamment, s’alanguir dans l’herbe (sic) au son d’une chanson jouée à la guitare – autant de fragments qu’Assayas aime à capter.
Dans son versant sentimental, Après Mai ne passionne pas tandis que la politique trouve son expression de manière inégale. Deux scènes emportent l’adhésion, au début du film : lors d’une manif chargée par la police et d’une opération-commando en pleine nuit pour taguer le lycée. Mutiques, les deux séquences fonctionnent sur le mouvement pur de la rébellion, sur la course de toutes les audaces. Cette abstraction et cette sensualité des gestes, des sons rejoignent le meilleur de L’Eau froide, « deuxième premier film » comme il aime à le qualifier, où il filmait, dans une concision assez fougueuse, deux jeunes amoureux vindicatifs et tourmentés mais perdus dans les années 1990. La même scène de fête s’y retrouve, sous le même angle tragique d’une impasse des seventies qui donne lieu ici à une belle idée d’indécision entre folie et petite apocalypse dissolvant une des voies proposées. À cet égard, Après Mai est le déploiement de L’Eau froide, passant ainsi des gros plans un peu emphatiques aux plans de groupes, parfois vignettes, mais toujours guettés par le mouvement de la caméra portée.
Le mouvement opère donc par moments, ravivant un souffle, un rapport au monde mais sans subversion véritable. Le champ de possibles ouvert en paraîtrait presque trop linéaire, malgré le charme d’un récit impressionniste qui donne au film une vraie douceur. Ici, Assayas réussit cette entreprise discutable de la reconstitution par un autre thème cher à son œuvre : c’est dans l’échange de références, la manière de se passer un recueil de poèmes, dans la transmission d’œuvres et leur distillation à travers la vie et la création (voir le cheminement artistique du héros) qui renvoient autant à son expérience de critique qu’à sa démarche de témoin d’une époque, que quelque chose affleure. Cette dimension autobiographique trouve dans la fin, qui conjugue la fidélité à un idéal à l’exigence d’un choix existentiel, une conclusion salutaire.