Il n’y a pas si longtemps, en 1994, que James Gray avait été récompensé (à raison) à Venise pour Little Odessa. Il n’y a pas si longtemps, James Gray réussissait à mêler acteurs émérites comme Faye Dunaway ou James Caan et acteurs en devenir comme Charlize Theron dans une fresque réussie comme The Yards. Et pourtant, La nuit nous appartient est la preuve que James Gray, en inversant ses priorités, en passant du point de vue du gangster à celui du policier, n’a pas été inspiré. Le film sombre très rapidement dans le moralisme cul-cul-la praline voire un conservatisme assez déplaisant.
La famille, la famille, il n’y que cela de vrai, semble nous dire aujourd’hui James Gray, le réalisateur de Little Odessa et des Yards dans lesquels le lien familial, aussi puissant que dangereux, était exploré de manière beaucoup plus subtile qu’ici. Dans La nuit nous appartient, la famille est une cellule qui ne se reconstruit que sur la vengeance et la morale retrouvée. Le début comme la fin du film de Gray se développeront ainsi sous forme de longs panoramas on ne peut plus maniérés et grandiloquents sur les remises de prix scolaires des deux fils. La plus grande surprise de ce film est sans doute le gouffre anti-métaphorique dans lequel s’est plongé James Gray : à grand renfort de musique tire-larmes et de mouvements de caméra grotesques censés nous montrer la grandeur de l’âme de nos congénères policiers. Chouette, le programme est enthousiasmant.
À l’instar de ses idoles, Coppola et Scorsese, et de ses deux premiers films, James Gray se penche cette fois non sur les milieux mafieux mais sur leurs rivaux, les flics. Bobby est le cadet des Green, il doit faire face non seulement à la frustration de n’être pas autant admiré que son frère aîné, Joseph, tout juste promu dans la police new-yorkaise, mais aussi à sa bande de copains peu fréquentables : un dealer russe plus ou moins sanguinaire, et sa cour, fidèle et sanguinaire elle aussi. Tout cela fait beaucoup de sang, et par malheur, le sang qui coulera le plus sera celui du père Green. Ce dernier était aussi un membre éminent de la police. Et là, surprise, James Gray n’a rien trouvé d’autre pour son personnage de Bobby que de le faire devenir un modèle de piété filiale et de retournement moral : se rendant compte de l’amour qu’il portait à un père dur et apparemment peu aimant, Bobby décide de se racheter en rentrant lui-même dans la police.
Le ton est donné dès les premières minutes : gros plan sur le père expliquant que le conflit mafia-police est vraiment sérieux. « This is a war » proclame-t-il avec une gravité de bande-annonce. On est prévenu, ça va péter ! Le problème est que, justement, le centre du film n’est pas du tout le conflit armé entre deux factions dont on ne détaillera jamais les usages et les fonctionnements (on sait juste qu’une balance se fait souvent tuer). James Gray s’est contenté de montrer grossièrement la rédemption d’un être qui n’était pas finalement si mauvais. New York ici, ce sont des feux rouges, des ambulances et des voitures de police, mais aussi de belles églises où la famille peut enfin se retrouver. On ne trouvera donc que peu de réelle tension, à peine quelques visages effleurés pour transmettre leur haine, leur chagrin (papa est mort quand même) ou leur profond doute sur le Bien et le Mal. L’héroïsme est bien cliché : il suffit apparemment d’avoir un flingue et d’arrêter de vendre de la cocaïne… et d’être filmé caméra à l’épaule dans les scènes de poursuite, et en plan fixe dans les scènes de reconnaissance.
La nuit nous appartient n’offre jamais de subtilité, la scène de fin en est l’admirable preuve : les deux frères ennemis s’annoncent leur amour commun sur le ton du « on s’est trompé mais, finalement, dans la peine, on a réussi à se retrouver ». C’est beau comme un discours d’élu de Neuilly, c’est frais et novateur comme un film d’Antoine Fuqua, c’est profond comme une publicité pour de la chicorée. C’est raté, en somme.