Réalisateur et scénariste de ses propres films, James Gray est présent dans le panorama cinématographique depuis plus de quinze ans. Auscultant les rapports familiaux dans toute leur violence (Little Odessa et The Yards), la notion d’héritage et de destin (We Own the Night) ou encore la folie douce d’inadaptés sentimentaux (Two Lovers), James Gray s’est fait une spécialité de travailler le motif de la tragédie moderne. Sa discrétion et son rythme de production (quatre films entre 1994 et 2011) ne lui donnant pas la lumière médiatique qu’il mérite, un ouvrage, sobrement intitulé James Gray, tente de faire le point sur la carrière et les obsessions du réalisateur. À travers les interviews de Gray mais aussi des monteurs, directeurs photo, acteurs, producteurs qui jalonnent sa route, Jordan Mintzer (critique pour The Hollywood Reporter) propose une incursion dans son cinéma, très personnel et mal connu.
Conçu de manière chronologique, le livre découpé en quatre parties (et un appendice sur les projets futurs du metteur en scène), reprend la filmographie de Gray pas à pas. Chaque chapitre, consacré à un film, est introduit par un entretien avec le réalisateur suivi de l’intervention d’un ou plusieurs collaborateurs, tant techniques qu’artistiques. De nombreuses photographies de tournage et des reproductions de scripts viennent se joindre au dispositif, un poil rébarbatif, pour constituer un bien beau livre. Mais si la facture esthétique de cet ouvrage est évidente, son contenu se révèle peu pertinent.
Égrenant ses références (Hitchcock, Polanski ou encore Coppola), James Gray n’évoque jamais avec précision sa méthode de travail. Quelques anecdotes de tournage essaiment l’essai mais de façon succincte. On apprend ainsi que la pluie lors de la scène de poursuite de We Own the Night a été numériquement ajoutée, sans plus de détail ni sur les raisons de ce choix, ni sur ses implications en terme de mise en scène. Idem pour Little Odessa, où la neige s’est invitée inopinément lors des shootings en extérieur. Comment cet élément perturbateur a-t-il été géré ? Comment a-t-il été intégré au film, lui donnant une esthétique finalement en adéquation avec l’ambiance ? Pas de réponse.
Quant aux interventions des divers collaborateurs de Gray (producteur, directeur photo, compositeur…), elles illustrent elles aussi l’absence quasi chronique d’analyse. Des portes ouvertes sont donc enfoncées (le monteur son précisant qu’il est plus facile de modifier des éléments pendant le mixage que sur un plateau, merci de cette évidence) laissant le lecteur sur sa faim. Alors que James Gray construit un œuvre tragique assez rare dans le cinéma actuel (un travail dramaturgique qu’il associe à son amour de Shakespeare), le livre de Jordan Mintzer n’en relate que la surface, ne met en lumière que les évidences et passe sous silence ce qui devrait être l’essence d’un livre sur un cinéaste, à savoir les enjeux et les partis pris de mise en scène du réalisateur.
James Gray se lit (ou se feuillette) donc sans déplaisir (le choix d’avoir conservé en regard les textes en langue anglaise se révélant une excellente idée) mais évitant les sujets qui fâchent (on aurait aimé entendre Joaquin Phoenix, l’acteur fétiche de Gray) et une véritable analyse du travail du metteur en scène, l’ouvrage peine à éclairer l’œuvre dont il fait l’éloge. Cette lecture un peu creuse donne toutefois envie de revoir la courte mais ample filmographie de Gray. C’est déjà ça de pris.