Les avis sont très partagés sur le dernier film des frères Dardenne.
[POUR] (par Marion Pasquier)
Après leur double Palme d’Or (Rosetta et L’Enfant), les frères Dardenne présentent en compétition Le Silence de Lorna, dans lequel on retrouve ce qui fait la spécificité de leur cinéma. Lorna est une jeune Albanaise qui, pour obtenir la nationalité belge, s’est mariée à Claudy, qu’elle a choisi parce qu’il est toxicomane et ne va pas tarder à mourir. Elle pourra alors épouser un mafieux russe pour qu’il devienne belge et, en échange de l’argent qu’il lui donnera, devenir propriétaire d’un snack avec son fiancé. Tel est le plan de Lorna et des mafieux qui supervisent son évolution. Comme dans les autres films des Dardenne, la caméra suit Lorna sans aucun moment de répit. Lorna est froide, calculatrice, impassible, cruelle, l’omniprésence de son malaise créé une claustrophobie dérangeante. On a bien du mal à compatir aux souffrances de cet être qui semble n’être que calcul déshumanisé. Son mari Claudy, interprété par un Jérémie Renier squelettique et très crédible, est en revanche émouvant. Il tente de se sevrer, cherche un peu d’aide et d’affection auprès de sa « femme » qui lui refuse au départ cruellement. Mais brusquement, sans que l’on puisse le pressentir, Lorna accède à un ressenti humain, sous son visage qui reste impassible et ses mouvements mécaniques. Elle ne peut suivre ses alliés mafieux dans leur barbarie et déjoue leurs plans, pour au départ concilier son objectif (obtenir leur argent pour s’établir avec son fiancé) et son nouveau refus de la cruauté, y renoncer ensuite. La brutalité des ellipses, le charisme des deux personnages que les acteurs habitent complètement, l’obsédante caméra ne lâchant pas Lorna, font toute la force de ce film. Si nous ne leur souhaitons pas pour autant une troisième Palme d’Or (place aux autres), les Dardenne continuent d’explorer une voix qui est la leur mais ne se répètent pas et restent passionnants.
[CONTRE] (par Ophélie Wiel)
Le Silence de Lorna n’est pas a priori des films que l’on a envie de détester, d’abord parce qu’aller contre une marée unanime n’est pas toujours crédible, mais aussi parce qu’il est impossible de ne pas respecter l’univers très construit et inventif des deux frères belges. Mais voilà, l’univers des Dardenne est justement trop reconnaissable ; on aimerait qu’ils s’aventurent parfois dans d’autres lieux, d’autres histoires, vers d’autres personnages… S’il est vrai qu’ils délaissent pour une fois leur mise en scène à l’arraché pour poser des plans plus cadrés, plus classiques, il n’en reste pas moins que certaines scènes donnent l’impression d’avoir déjà été vues 1000 fois, de Rosetta à L’Enfant, que les thématiques se répètent jusqu’au bourrage de crâne, au point que le spectateur se relève soulagé de son fauteuil quand les lumières se rallument dans la salle après cinq dernières minutes de film à la limite du ridicule. Porté par deux acteurs magnifiques, une jeune inconnue kosovare et Jérémie Renier, débordant d’émotion, Le Silence de Lorna n’est pas un mauvais film, simplement le film de trop, qui interroge l’omniprésence des Dardenne à Cannes: sont-ils vraiment les seuls cinéastes contemporains qui méritent d’être autant primés sur la Croisette ?