Curieux objet que le dernier film des Frères Dardenne qui, posant d’emblée la « radicalité » du jeune Ahmed comme une donnée brute, ne cherchera jamais à l’inscrire dans un faisceau d’indices susceptibles de l’expliquer ou de la discuter. Si l’on connaît au garçon un cousin emporté par le djihadisme et un père absent, le film se dérobe d’autant plus nettement à une entreprise de ce genre qu’il environne le personnage de proches qui tous (exception faite de l’imam, dont le discours extrémiste incite Ahmed à tenter d’assassiner sa professeur d’arabe) ne montrent que de la bienveillance à son égard et sont disposés à l’accompagner en veillant à le prendre en charge dans toute sa complexité (ce que l’on attend, en somme, de cinéastes qui investissent un tel terrain). L’évidement du plan, caractéristique de la mise en scène des Dardenne, tend à circonscrire le mouvement de chaque séquence à la stricte décomposition d’une action. Un attachement tout particulier est accordé au détail des rites autour desquels s’organise la vie d’Ahmed, comme autant de gestes qui supposent une éducation patiente et minutieuse du corps : soit, une position (celle de la prière), des interdits corporels (serrer la main des femmes, entrer en contact avec des animaux) et des ablutions.
Il n’est dès lors pas anodin que les moments charnières du film (ceux qui participent d’une éventuelle « déradicalisation » du jeune homme, à partir de son internement dans un centre dédié) constituent autant de micro-événements attaquant le corps : un chien qui lui lape la main, une jeune fille qui effleure une brindille contre sa peau avant de lui voler un baiser, une chute brutale. On peut y voir une reprise, dans le corps même du film, du discours de la psychologue d’Ahmed : l’amélioration de son état passerait par la prise de conscience de ce que le corps de l’autre est sentant (la mort, lui rappelle aussi son éducateur, « ça n’est pas une piqûre de moustique »). On songe notamment à la scène de séduction entre la jeune fille et Ahmed, au cours de laquelle elle l’invite à retirer ses lunettes et lui laisser les essayer, ou plus explicitement, à l’ébranlement occasionné par sa chute douloureuse. Il aura ainsi fallu que la position du corps du personnage soit renversée pour qu’il puisse demander pardon.