Grand succès à sa sortie en 1940, ce film d’aventures réputé pour son emploi du Technicolor et des effets spéciaux mêle plusieurs contes de Mille et Une Nuits. Tapis volants et voleur espiègle font tout l’aspect pittoresque de ce film réalisé à plusieurs mains, mais qui porte pourtant la signature de Michael Powell.
Sur la proue d’un bateau, un œil peint avec des couleurs flamboyantes nous indique, dès le début du film, de bien regarder les merveilles qui vont s’offrir à notre regard. Dans ce décor de mille et une nuits, tout est conçu pour offrir au spectateur une débauche de couleurs : voiles et tenues des jeunes femmes, commerces du marché, fleurs et arbres des jardins.
On retrouve la sagesse des grands contes populaires : le prince Ahmad descend dans la rue pour apprendre ce que son peuple pense vraiment de sa façon de gouverner. Arpenter Bagdad en compagnie de son prince est une façon de nous autoriser l’accès à tous les lieux de la Cité : les palais, les rues, le port, mais aussi les terribles cellules des prisons. L’assez fade prince Ahmad se fait néanmoins voler la vedette par le jeune voleur interprété par Sabu. Le traître Jafar, interprété par Conrad Veidt, signe là sa deuxième collaboration avec Michael Powell après L’Espion noir (1939). Il y a quelque chose d’enfantin dans la façon dont Powell et Berger et Korda revendiquent un cinéma d’aventures très axé sur le plaisir de la couleur, mais aussi sur le jeu avec les effets spéciaux. Monde fantastique peuplé de sorciers et de mages, Le Voleur de Bagdad fait voler les chevaux dans les airs ou joue sur la taille du génie sorti de sa bouteille.
Tourné en 1940, ce remake du film réalisé par Raoul Walsh en 1924, est avant tout un projet de producteur avec lequel Alexander Korda veut montrer que les studios britanniques peuvent rivaliser avec Hollywood et le genre prestigieux du film d’aventures. Pour cela, il morcela la réalisation du film, confiant les séquences successivement à différents cinéastes. Ainsi, mécontent du travail de Berger, il confia à l’Américain Tim Whelan le soin de diriger les scènes de bataille, et à Michael Powell le soin des séquences dans lesquelles le génie se voit piéger par le jeune voleur Sabu en sortant de sa bouteille… en Cornouailles; le producteur interventionniste finit par réaliser lui-même certaines séquences. Dans un climat de grande tension et de concurrence entre les réalisateurs.
Pourtant, malgré l’emprise d’un producteur autoritaire et la dimension collective de la réalisation, le film s’intègre parfaitement dans la filmographie de Michael Powell. À trente-cinq ans, le cinéaste n’avait à son actif que deux films personnels, À l’angle du monde (1937) et L’Espion noir (1939), alors qu’il était déjà rompu aux tournages pour avoir exécuté à la chaîne une vingtaine de quota-quickies, ces productions financées et contrôlées par Hollywood mais réalisées en terre britannique avec des techniciens locaux. On voit déjà les thèmes et motifs qui jalonneront l’œuvre futur, et en particulier le soin apporté au traitement du Technicolor, ainsi que la mise en abyme des questionnements sur l’image et la représentation. La princesse, étonnée de voir le prince Ahmad au fond de l’eau où elle s’apprêtait à se baigner, converse avec l’homme dont elle est en train de s’éprendre sans comprendre qu’il s’agit de son reflet. Le film insiste là encore, après le gros plan sur l’œil du début, sur l’image qui n’est qu’un simulacre.