Qu’est-ce qu’un western ? La réponse qu’apporte le nouveau film de Jacques Audiard, son premier en anglais, ne surprendra pas : le genre apparaît ici comme le terreau d’une fable sur l’origine de l’Amérique, fondée sur une violence primitive, une « aberration » comme la qualifiera l’un des personnages principaux. Pour autant, la structure narrative, appliquée quitte à apparaître comme scolaire, étonne davantage dans la manière dont elle redessine cette trame attendue. Audiard envisage son incursion dans le western comme un élève rédige sa dissertation, avec sérieux. Premier mouvement (thèse) : les frères Sisters sont des chasseurs de primes à la poursuite d’un chimiste susceptible de détenir une formule révolutionnant la prospection de l’or. La traque repose sur un cheminement vers la violence, au cœur d’un pays pourri de l’intérieur : Eli avale ainsi une araignée venimeuse qui fait gonfler sa gorge, tandis que son cheval, attaqué par un ours, agonise tout le long du voyage. Audiard construit cette première partie sur deux tandems en miroir, deux chefs qui ont fait de la violence leur commerce, et deux écuyers plus doux, apaisés, qui aspirent à une existence tranquille. Deuxième mouvement (antithèse) : la réunion des deux troupes accouche d’un renversement des enjeux. Exit la perspective d’un affrontement, les deux groupes travaillent de concert dans un cadre bucolique où la camaraderie trace les contours d’autres lendemains possibles. Le rêve bascule toutefois lorsque le fruit pourri de la terre (l’or qui brille sous l’effet de la formule) déteint sur la chair des hommes (le produit du chimiste se révèle extrêmement corrosif). Troisième mouvement (synthèse) : les frères Sisters font le chemin inverse, remontent la route jusqu’à son point d’origine pour renouer avec la violence, avant de faire face à l’évidement de la crise. La montagne accouche d’une souris. « Tu n’es pas un peu déçu ? » glisse Charlie à son frère aîné, qui concède qu’il aurait préféré une résolution un peu plus abrupte, moins sage.
C’est que le récit mené par Audiard repose sur une logique de désamorçage : l’explosion attendue n’advient pas, les corps pourrissent comme la haine qui les habitent, le détenteur de la virilité (Charlie, le petit frère tempétueux) se voit symboliquement émasculé et la fraternité peut dès lors accéder à une possible rédemption en redevenant des petits garçons dorlotés par leur maman. La stratégie est habile, évite la tentation du coup de force ou le risque d’un versant mythologique souligné à gros trait, mais elle n’en supporte pas moins un film curieusement peu inspiré dans le détail de son écriture. Les séquences oscillent ainsi entre une forme de retranchement, à l’image des fusillades, où la majorité de l’action reste hors champ, et quelques effets de style (un rideau qui volette à l’orée d’un surgissement de violence, une scène de rêve floutée) qui masquent mal que les enjeux sont avant tout nourris par des dialogues explicatifs et un scénario parfois grossièrement carré (exemple : Eli et son cheval tombent malades en même temps). Si le film déjoue les attentes et explore patiemment les nuances de ses personnages, le prix à payer est un abandon au romanesque, champ où Audiard fait valoir ses qualités stylistiques sans que son écriture ne se départisse toutefois d’une certaine superficialité.