On entre dans Les Olympiades aimanté, comme la caméra de Jacques Audiard, par le corps nu d’une jeune femme assise dans son canapé et sublimée par le contraste du noir et blanc. Un micro à la main, Emilie (Lucie Zhang) fredonne une chanson en mandarin qui plonge la scène dans l’atmosphère mélancolique d’un karaoké de fin de soirée. Cette ouverture poétique voit aussitôt son élan coupé par la réplique beaucoup plus terre-à-terre d’un personnage resté hors-champ, Camille (Makita Samba), qui propose à Emilie de lui apporter un yaourt. La voix du jeune homme lance véritablement le film en lui donnant un ton qu’il conservera jusqu’au bout : celui d’une chronique modeste, voire banale, explorant volontiers les aspects les plus prosaïques du quotidien des personnages.
L’esthétique et l’ambiance très arty des premiers plans resteront à l’état de fausse piste, tout comme les attentes suscitées par le titre du film : le quartier parisien des Olympiades est finalement peu exploré et l’essentiel de l’action se déroule en intérieur, à l’exception de quelques plans mettant en valeur l’architecture typique de l’urbanisme des grands ensembles (une dalle entourée d’immenses tours). Le récit se concentre sur le parcours d’une employée de call center, d’un agrégé de Lettres et d’une jeune femme ayant quitté Bordeaux pour reprendre des études à Paris, mais de la sociologie du 13e arrondissement, on n’aura qu’un petit aperçu sous la forme de personnages secondaires aux allures d’échantillon (une grand-mère atteinte d’Alzheimer, un ancien élève devenu ouvrier dans le bâtiment, une actrice porno, une sœur bègue, etc.). Les protagonistes sont réduits à leur personnalité, sans que la question de leurs identités diverses entre véritablement dans le champ de la représentation, que ce soient les racines chinoises d’Emilie, la peau noire de Camille ou le trauma familial vécu par Nora (Noémie Merlant), que le scénario évoque brièvement avant de l’éluder totalement.
Le quartier des Olympiades est donc moins un espace social qu’un simple point de contact entre trois trajectoires individuelles. Coécrit avec Céline Sciamma et Léa Mysius, le film s’éloigne ainsi de l’univers habituel de Jacques Audiard au profit d’un récit plus tiède et d’un ancrage moins soucieux de vérité que de pittoresque. Le résultat, plus déroutant que déplaisant, emprunte la voie d’une narration en mode mineur calquée sur le rythme alangui et l’esprit pop du roman graphique américain contemporain (Les Olympiades s’inspire d’une œuvre d’Adrian Tomine, disciple de Daniel Clowes et adepte de la ligne claire). Au milieu d’une compétition cannoise marquée par quelques gestes plus ambitieux et parfois boursouflés, le film offre une respiration bienvenue, porté notamment par le bagout de son héroïne et quelques réparties bien senties, sans jamais dépasser pour autant la fadeur d’un triangle amoureux à l’originalité un peu fabriquée. Paradoxalement, son incursion sur le terrain de la jeunesse et de la modernité, loin d’apporter un souffle nouveau au cinéma d’Audiard, a plutôt tendance à l’alourdir de lieux communs : incrustations de SMS à l’écran, dénonciation de la violence des réseaux sociaux et de la vacuité des applications de rencontres, etc. Des clichés qui composent, avec le choix du noir et blanc, un objet paradoxal, à la fois intemporel et soucieux de refléter (maladroitement) son époque, ancré dans un territoire et pourtant toujours légèrement hors-sol.