Là où In Jackson Heights (2016) rendait compte du bouillonnement culturel et de l’énergie du quartier le plus cosmopolite de New-York, le dernier film de Frederick Wiseman est centré sur la ville rurale de Monrovia, dans l’État de l’Indiana, qui malgré sa petite taille et sa tranquillité n’en demeure pas moins une structure riche et complexe. Le réalisateur en arpente les rues et rejoint un grand nombre de ses lieux de vie – salon de coiffure, clinique vétérinaire, salle de sport ou encore restaurant –, afin d’élaborer le portrait le plus représentatif qui soit de sa géographie et de sa population. Les retours réguliers aux terres agricoles et élevages situés aux abords de la ville témoignent d’une construction éclatée, cherchant avant tout à donner une amplitude au montage qui entre en résonance avec l’agencement du territoire tout en renseignant sur la production de ses principales ressources alimentaires. Fidèle à sa méthode de documentaire immersif, qui rend compte de son sujet en passant par son observation plus que par la sollicitation directe d’intervenants, Wiseman tend à étoffer continuellement son propos. Les séquences longues où les résidents interagissent sont ainsi introduites par d’autres plus courtes, dans lesquelles de brefs plans fixes se succèdent pour faire écho au mouvement permanent d’une ville et à la nécessité d’y déambuler pour en saisir les subtilités.
Les événements marquant le cours d’une vie humaine ponctuent par ailleurs le déroulé du montage : l’une des premières séquences se déroule dans un lycée (où les exploits des sportifs locaux représentent une source de grande fierté et sont enseignés aux étudiants), un mariage a lieu en son milieu (dont le discours du pasteur rappelle malgré lui les principes patriarcaux bien ancrés dans cette Amérique rurale), et le film s’achève enfin sur un enterrement (au cours duquel ne cessent d’être soulignées l’importance et la place accordées au Christ dans l’existence de chacun). L’idée de concentration domine au fil du long métrage : malgré les apparitions récurrentes d’axes routiers qui suggèrent une appréhension horizontale de l’espace, toute la vie de Monrovia semble s’articuler entre ciel et terre. Le film s’ouvre et se clôture sur l’image d’un ciel bleu (à lire, l’analyse de la séquence d’ouverture) qui, dans le dernier plan – scindé en son milieu par la ligne d’horizon – surplombe cette fois le cimetière où une résidente vient d’être enterrée. Cette appréhension verticale de la bourgade, qui implique de ne pas déborder au delà de ses limites géographiques, trouve sa justification au fil des réunions du conseil d’administration de Monrovia qui jalonnent le documentaire. Alors que sont notamment abordées les questions concernant les projets immobiliers et la sécurité, la crainte d’un élargissement de la ville et donc de sa population ressort de manière flagrante de ces discussions. Tourné à la suite de l’arrivée au pouvoir aux États-Unis de Donald Trump – largement élu en Indiana –, le film de Wiseman fait le constat précis et nuancé d’une communauté soudée dans la défense de ses seuls intérêts et de son territoire. À travers les rouages et rituels du quotidien de Monrovia, il saisit le fonctionnement en circuit fermé d’un microcosme qui, à son échelle, apporte un éclairage sur l’état d’esprit actuel du pays.