Le titre de Monrovia, Indiana apparaît dès la première image du film (première capture du montage ci-dessous) et annonce, par cette virgule séparant une ville d’une région, la scission imminente d’un espace. Les premiers plans de Monrovia voient ainsi le ciel et ses nuages laisser la place à une ligne horizontale séparant le ciel de la terre (2). Cette prédominance de la ligne droite est toutefois remise en question par un raccord sur un arbre penché (3), puis sur une boite au lettre rouillée dont le support en fer est lui aussi incliné (4).

L’alternance entre l’horizontalité et la verticalité guide ensuite les plans de campagne se succédant jusqu’au dévoilement des exploitations agricoles (5). Des machines labourent également la terre pour y tracer d’autres lignes (6), tandis que les habitations et les bâtiments industriels tendent à s’inscrire dans l’asymétrie environnante d’une nature divisée entre sa droiture (l’horizon au loin) et son irrégularité (les arbres biscornus qui viennent briser cet horizon). Le tracé de la ligne est ensuite prolongé par le geste d’un éleveur de cochons, marquant le dos de ses bêtes d’une ligne de peinture rouge afin d’indiquer celles qui seront abattues. Le rouge des lignes tracées sur leur dos annonce ici le devenir sanglant de ces bêtes (7) tout en contribuant, par l’irrégularité de la forme tantôt droite, tantôt courbée, à la disharmonie générale. En cela, le chemin emprunté pour parvenir à Monrovia prend la forme d’une série de lignes, naturelles ou non, qui fléchissent et se reforment pour nous amener en ville. Cette cohabitation de l’horizontal et du vertical, mais aussi du droit et du diagonal, se fait l’écho d’une cohabitation entre l’homme et la nature au cœur même d’un espace dont les contours sont sans cesse redessinés par les choix de cadrage et de montage, à l’image du panneau de la ville, dévoilé via une contre-plongée qui le montre penché.

Les présupposés disharmonieux de cette introduction, qui illustrent le regard fantasmé porté sur une ruralité composée de verts pâturages et peuplée de vaches ou de porcs couinants, laissent rapidement place à une captation attentive des rouages citoyens et institutionnels de la ville. La ligne redessinée de l’espace devient en ce sens celle, tout aussi fluctuante, qui relie les membres de ce même corps social aussi uni qu’en danger de mort (cf. l’analyse du montage du film par Josué Morel). De sorte que si l’harmonie de la nature semble être menacée par les habitants de cette province isolée (à l’image d’une séquence montrant les effets de la pollution locale), son scindement le plus notable ne s’opère finalement pas en son sein, mais entre elle et le reste du monde. Comme l’annonçait, en somme, la division entre la ville et son État contenue dès le titre : Monrovia, Indiana.