Pour leur sixième collaboration, Gustave Kervern et Benoît Delépine s’adjoignent les services de l’écrivain Michel Houellebecq pour incarner à l’écran Paul, un quinquagénaire usé par la vie, qui décide d’envoyer valser sa médiocre existence pour partir se suicider dans les montagnes. Un suicide social et idéologique, sur le mode de la fugue et de l’errance, où l’on voit presque trop bien le rapprochement fait par les deux réalisateurs : Houellebecq est, dans la vie comme à l’écran, un ermite en puissance. Du haut de l’Olympe irlandaise où il résida pendant plusieurs années, l’auteur représente dans l’esprit du grand public la figure du reclus, et c’est cette image majoritaire qu’ils entendent reconduire, en la confrontant à un décor de plein air.
Less is more
Ce surplace éminemment dialectique est traduit de manière binaire par le récit (l’intériorité d’un homme, ses pensées en voix off, la construction d’un regard réflexif sur son vécu/l’extérieur, l’immensité mutique de la nature, le retour à une facture sauvage) et vient accréditer la thèse du film dit sérieux (on peut d’ailleurs y ajouter l’utilisation répétée d’un morceau de Schubert comme gage de « noblesse »). Fini l’humour grinçant, c’est maintenant du monde, cette chose impropre et dégénérée, ce temple du consumérisme et de l’absurde, que le duo de cinéastes, avec comme médiateur son « marginal » d’écrivain, vient vous instruire. Pas étonnant cependant qu’ils décident enfin de s’y attaquer de manière aussi frontale, tant leur filmographie tourne depuis le début autour de cette marotte, mais la pauvreté des moyens mis en œuvre vient révéler un discours aux relents misanthropes.
Kervern et Delépine visent la forme minimaliste (un personnage, un décor) et s’appuient sur la formule « Less is more » comme garantie que ces éléments disparates emporteront la réflexion vers d’autres cieux. En faisant acte délibéré de miser sur l’incarnation du personnage, en cherchant une forme d’universalisme dans l’expression hébétée de son visage, ils pensent accéder à une puissance d’évocation. Mais le film fait usage d’une voix off qui vient, telle une force contraire, annihiler les possibilités limitées de ce parti pris naturaliste. La voix de Paul tente cependant de faire appel à un « ailleurs », mais elle ne s’articule jamais avec l’image, qui ne donne rien de plus à voir, à imaginer, que ce qu’elle contient. Les décors – loin de représenter un paysage mental – sont soumis à la sécheresse improductive de cette pérégrination, car il s’agit finalement, comme bien souvent chez Kervern et Delépine, de reconvoquer le monde dont le personnage vient de prendre congé (ici, par exemple, sous la forme de pierres représentant sa famille ou en rejouant des scènes de son boulot), manifestation d’une incapacité à proposer d’autres mondes que celui qu’ils entendent dézinguer.
No Future
Impossible, lorsqu’on ne réussit pas à prendre en charge un modèle alternatif à ce que l’on accuse, à se dépêtrer d’un discours défaitiste sans offrir une issue de secours, de ne pas passer pour radoteur et complaisant, surtout lorsque les deux cinéastes s’embourbent dans une lourde dénonciation qui semble tirer avec des années de retard sur des ambulances. Autant de signes qui ne trompent pas : l’apparition du journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut comme symbole d’une beaufitude populaire congédiée d’un revers de la main in medias res, la mise à l’écart par le cadre des visages de l’entourage de Paul pour appuyer la solitude de l’existence dans les sociétés dites modernes, ou encore ce choix simpliste de se tourner vers une nature qui ne sert que de décor, comme impuissance à penser l’environnement autrement que dans le cadre d’une pseudo altérité détachée de la civilisation humaine. La visée discursive des deux cinéastes se fait alors claire comme de l’eau de roche : un devenir de l’humain en dehors de tout engagement, un solipsisme érigé en stèle funéraire. Un « No Future » scandé avec docilité, courant à sa propre perte avec un je-m’en-foutisme satisfait.