Sortis simultanément le 9 février sur les écrans français, ces trois films d’outre-Rhin s’inscrivent dans un renouveau espéré et tant attendu du cinéma allemand qui, depuis les années 1970 et son florilège d’œuvres remarquables signées Fassbinder, Herzog, Schlöndorff ou encore Wenders, connaissait une inquiétante traversée du désert.
En marge des succès populaires de Good Bye Lenin ! et de La Chute – un million d’entrées en France, six fois plus en Allemagne – qui doivent leur accueil chaleureux au choix de leur sujet (la chute du Mur de Berlin, le suicide d’Hitler), En route, Marseille et Voyage scolaire ne s’inscrivent nullement dans cette nécessité de démystifier les vieux démons de l’Histoire du pays. Bien au contraire, ces trois œuvres singulières ont l’éloquent point commun de ne pas prendre pour cadre le territoire allemand et de se départir des enjeux nationaux pour ne parler que de l’individu et de ses désirs si souvent contradictoires.
Eux-mêmes ambivalents, ces trois longs métrages qui seraient en quelque sorte un éloge du mouvement, du départ (la mer Baltique, la Provence, la Pologne) et donc d’une certaine forme de liberté, fonctionnent tous en huis-clos oppressants, de quoi rendre le spectateur ponctuellement claustrophobe.
De la scène de théâtre aux décors minimalistes de Marseille où une jeune femme se représente, non moins sans une certaine lourdeur formelle, toutes les frustrations de son existence et de celles de son entourage, au couple pris au piège de ses propres désirs inavoués dans En route, les corps des personnages sont autant de miroirs sur lesquels la caméra glisse et accroche, en quête d’une délivrance de l’âme qui ne surviendra jamais.
Voyage scolaire, premier film de Henner Winckler récompensé au festival de Belfort en 2002, est, en ce sens, certainement le plus abouti des trois. Sans aucune tentative de psychologisation de l’adolescence, le réalisateur tente de pénétrer l’univers d’un groupe de jeunes que rien ne hiérarchise et qui, lors d’un voyage scolaire dont on ne saura jamais le but, semble perdre à jamais le semblant de repères qu’il avait tenté de se construire jusqu’ici, repères autant géographiques qu’affectifs.
Ce flottement et cette hésitation de tous les instants, subtilement matérialisés par le décor aux allures de no man’s land et par un montage parfois elliptique au sein d’une même scène, sont contrebalancés par des fulgurances burlesques où le monde semble soudainement perdre de son sens, la lourdeur des corps s’offrant furtivement le luxe de l’inconsistance. Mais alors que le drame survient et que l’enquête policière prend forme, chacun retrouve soudainement cette gravité accentuée qui caractérise si bien la manière dont se traînent les adolescents. Henner Winckler a fait un travail remarquable.
Il scrute à juste hauteur les tourments existentiels brouillons de ses personnages qui, d’un geste ou d’un regard, trahissent leur incapacité à s’inscrire dans un monde où le gris et la médiocrité sont les maîtres mots.