On avait quitté Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117, au Caire, véritable nid d’espions et théâtre de ses frasques les plus ubuesques. Dans un déluge de vannes auto-parodiques et souvent borderline, le premier épisode nous avait agréablement surpris en s’affranchissant des normes lénifiantes du cinéma populaire français. Transposant le personnage dans un environnement hostile peuplé d’agents du Mossad et de hippies sodomites, Michel Hazanavicius fait montre avec ce deuxième épisode d’une parfaite maîtrise de son style, tout autant empreint d’ironie socio-politique que d’élégance esthétique.
OSS 117 est l’histoire d’une aventure commune, d’un pari un peu fou réunissant trois hommes décidés à remuer le cocotier trop sage de la production humoristique hexagonale. Il y a d’abord Jean-François Halin, scénariste et ancien auteur des Guignols et du Groland, adepte du mauvais goût grinçant. Viennent ensuite Michel Hazanavicius, bien connu par les fans de La Classe américaine et le bankable Jean Dujardin, trouvant ici le rôle de sa vie, bien loin du triste Brice de Nice. De cette alliance hétéroclite et complémentaire est née l’adaptation d’une vieille saga d’espionnage des années 1950 créée par Jean Bruce et adaptée très approximativement au cinéma durant les Sixties. OSS 117 est un espion sous les ordres de la République, vulgaire succédané du James Bond britannique et valet sans envergure d’un Empire sur le déclin.
Là où le premier degré pince-sans-rire était au programme de cette série désuète, les trois compères accentuent le trait chauvin et has been du personnage pour mieux l’embarquer dans des odyssées où sa témérité et son intelligence seront mis à rude épreuve. Cette fois, direction la folle année 1967 et Rio de Janeiro, ses plages de sable fin, ses hordes de marginaux chevelus et son Amicale des Anciens Nazis. Hubert y est à la recherche d’un microfilm compromettant pour l’État français. Alerté de sa présence, le Mossad le contacte et lui explose sa volonté de traquer les dignitaires nazis ayant trouvé refuge dans ces contrées d’Amérique du Sud. Accompagné dans cette mission par la charmante Dolores (Louise Monot), OSS 117 se lance sur les traces de Von Zimmel (interprété par Rüdiger Vogler, fidèle de Wim Wenders), psychopathe mégalomane rêvant d’un Quatrième Reich et d’un monde «plus injuste, plus inamical, plus intolérant». Voilà pour l’intrigue.
Le plus percutant est bien entendu ce qui se place entre les côtes rabougries du récit : la moelle bien grasse des gags et des situations totalement loufoques et politiquement incorrectes. Les boucs émissaires du premier épisode étaient les musulmans, intégristes de préférence, c’est aujourd’hui au tour des juifs d’être les souffre-douleurs de l’inculture crasse de notre héros. Et le trio d’auteurs-compositeurs y va bon train, ne se refusant aucune transgression morale : tous les clichés les plus rances sont égrenés avec suffisance et auto-satisfaction. «Vous êtes si… français» répètent à l’envie les étrangers rencontrant le chemin d’Hubert, faisant ainsi référence à une certaine francité, brocardée avec vigueur et de façon totalement décomplexée. C’est dans l’emphase sans aucun garde-fou que le film atteint son point culminant, quand il ne doute plus de l’intelligence du spectateur à différencier le second degré vachard du racisme pur et simple. La frontière est souvent difficile à identifier, l’humour difficilement supportable pour les âmes sensibles : il faut du courage pour oser s’aventurer si loin dans l’inconvenant. Réussir ce tour de force est salutaire dans le contexte anxiogène et coercitif d’aujourd’hui et agit à l’instar d’une bulle hors du temps, comme une réminiscence de la fourberie géniale d’un Pierre Desproges sous acides.
Cet amour des blagues idiotes et des saillies sociopolitiques bien senties n’est pas le seul atout du film. À l’instar du Caire, nid d’espions, Hazanavicius a fait appel à un directeur de la photo – Guillaume Schiffman – conscient de l’intérêt de soigner la lumière et au diapason de la culture cinématographique du réalisateur. Ce dernier ne peut s’empêcher d’égrener tout au long du film de multiples références, du fameux raccord dans le mouvement de La Mort aux trousses aux séries B mexicaines. Les renvois aux tics des années 1970 sont nombreux: le zoom comme moyen d’explorer le cadre, le split-screen démultipliant les points de vue, l’utilisation de la lumière et des décors naturels… Le souci du détail est constant, tout comme l’envie d’offrir au public un spectacle « haut de gamme », à mille lieux de la neutralité malveillante habituelle. Classe et coquetterie ne sont ainsi jamais confondues, au grand dam de tous les Francis Veber du monde.