Il existe des films si aberrants et ratés que l’on ressort de la salle un peu honteux d’être resté jusqu’au bout. Sur le papier, Le Prince oublié n’a pourtant pas ce profil : il serait facile de minorer son échec en ciblant ce qui le compasse (le format du film grand public mignon et inoffensif) ou au contraire de concéder, bon gré mal gré, qu’il fait au moins preuve « d’audace » dans son ambition affichée d’investir un champ ordinairement réservé au cinéma hollywoodien. Car le film prend assez nettement la forme d’un remake à peine voilé de Vice versa (même monde imaginaire d’une enfant – comme dans le Pixar, Sophia est âgée de 11 ans – ébranlé par l’entrée dans l’adolescence, même principe des « oubliés » transparents qui s’évaporent dans les tréfonds de son inconscient), mais cette fois vu du point de vue d’un père veuf impuissant (Omar Sy) face à la poussée de croissance de sa fille, qui ne veut désormais plus écouter les « histoires » qu’il s’évertue à imaginer et à lui conter depuis son plus jeune âge. C’est pour tout dire une assez belle idée, qui pourrait faire glisser le récit vers l’horizon de comédies sophistiquées telles qu’Il faut marier Papa (la citation est là encore explicite : la fille pousse son père dans les bras d’une voisine à laquelle il ne prête initialement pas attention). Oui mais voilà, ce cadre un peu balisé n’excuse pas l’indolence du montage alterné (structuré autour d’allers-retours entre la « vraie » vie et le monde des histoires), la nullité toc de la production artistique, la catastrophique partition d’Howard Shore (que s’est-il passé ?), l’approximation embarrassante des acteurs et des gags, la platitude parfaite de l’image, les répliques qui tombent systématiquement à plat, etc.
Le Prince oublié est donc un film raté dans les grandes largeurs, cela arrive, Hazanavicius en a déjà fait (The Search). Reste qu’il s’agit également d’un film antipathique, en cela que sa part cynique de produit industriel, visant le public le plus large possible, déborde dans la fiction même. Le monde des histoires y apparaît ainsi comme un plateau de cinéma (allégorie attendue), mais aussi comme une entreprise où les employés déclassés voient leur chemin barré par des vigiles, une sorte d’univers totalitaire où la valeur de l’imaginaire est indexée sur le rendement de ses figures. Pas un hasard si la seule idée un tant soit peu « originale » réside dans ces panneaux publicitaires où s’affichent des intertitres de contes de fées (« Un beau jour… », « Et ils vécurent heureux… »), ou encore que le père, dans l’histoire qui ouvre le film, puise entre autres son inspiration d’une réclame bordant un abri de bus. Au-delà de l’échec industriel manifeste, qu’attendre d’un conte animé par une conception aussi étriquée de l’imaginaire ?