On a du mal à y croire. Comment Michel Hazanavicius, honnête pasticheur et auteur de deux belles comédies (les OSS 117, bouffées d’air frais dans le champ de la comédie française), en est-il arrivé là ? Si l’accueil cannois réservé à The Search, calamiteux, augurait un sérieux ratage pour cet étonnant virage à 180 degrés vers le mélo mâtiné de fiction politique, la litanie de critiques acerbes ressemblait toutefois de loin à une lapidation tout aussi outrancière que le torrent de louanges dont avait bénéficié The Artist. Il n’en est rien. Aucune maladresse, aucune circonstance atténuante ne peut expliquer l’ampleur du marasme.
La première séquence, sordide, où une innocente famille tchétchène se fait assassiner devant la caméra d’un soldat russe, balaie d’emblée l’hypothèse d’un impair à considérer avec indulgence. Hazanavicius recourt pour ce pré-générique aux mêmes formules qui faisaient la réussite de ses précédents films : il adopte des codes bien identifiables (en l’occurrence ceux du reportage de guerre – caméra tremblante, image délavée, heure et date affichée sur l’écran) et amplifie leur potentiel signifiant (lumière grisâtre, décor apocalyptique et boueux, tâche de sang qui vient maculer l’objectif) dans un geste qui tient autant de la réappropriation que de l’exacerbation. Le contrechamp de cette scène, consécutif à l’irruption du titre sur fond noir – s’abattant tel un couperet pour mieux exhorter le spectateur à trembler face à l’horreur du spectacle –, lance à proprement parler le récit qui se révèle hélas du même tonneau : on y sent l’écœurante volonté de faire sale, de passer par un ensemble de petites afféteries de reconstitution (cadres jamais stables, couleurs atones, trognes pittoresques et costumes en lambeaux) pour donner à voir la misère et la souffrance.
Prise d’otages
Si la dégueulasserie du prologue est redoublée par un twist final qui vient autant confirmer la nature factice des pseudo images documentaires qu’il n’en remet une couche dans l’ignoble, n’occultons toutefois pas ce qui est compris entre ces deux bornes de la boucle narrative qui enserre le film. L’enfant, par exemple, garçonnet blondinet dont le regard affligé et l’adorable bouille (mariant joliesse et tristesse – le visage joufflu étant voué à être constamment mouillé de larmes), illustre de façon probante le programme du cinéaste : prendre le spectateur en otage, lui coller la merde sous le nez afin de bien lui faire comprendre l’horreur de ce qui se joue sous ses yeux. Encore faudrait-il que Hazanavicius ait une vision tant soit peu subtile de son sujet.
Le film emprunte en effet trois sillons pour mettre à bien son triste projet : 1) en plongeant dans les entrailles de l’armée russe, usine à créer des monstres sanguinaires (pathétique film de troupiers où les coups de boule et les insultes homophobes fusent tous les trois plans) 2) en suivant une femme en quête de ses deux frères perdus dans le tourbillon de la guerre (le pan le plus anecdotique du film) 3) en montrant comment Carole, une émissaire de l’UE (Bérénice Béjo, aussi fausse dans son maniement de la langue de Shakespeare que celle de Molière) se démène pour alerter la Communauté Internationale des sévices perpétués sur le sol tchétchène. Quoique. Quoique, oui, puisque cette dernière partie semble avoir été sérieusement amputée dans le nouveau montage du film (vingt minutes ont disparu de la version présentée à Cannes), si bien qu’il ne reste surtout de ce versant-là qu’un film bizarre, curieux, indécent au regard du sujet : Don Quichotte Bérénice qui apprend tant bien que mal à devenir la nouvelle maman du petit Hadji, le garçon au cœur de l’intrigue.
Martine à la guerre
The Search se déroule en effet majoritairement dans l’appartement de la fonctionnaire, et plus particulièrement sur un canapé. Oui oui, un canapé, celui où est vissé Hadji, qui non content d’avoir vu ses parents se faire décimer sous ses yeux doit en plus supporter à longueur de journée les inepties débitées à tour de bras par sa tutrice d’infortune. Bérénice épluche les patates, Bérénice fait la tambouille, Bérénice fait du shopping, Bérénice écoute les Bee Gees… Et la guerre, dans tout ça ? Elle se résume à une poignée de plans, et à des tractations bureaucratiques dans un local de la Croix Rouge.
Le dénouement, désolant, met en lumière la vision occidentalo-centrée que le film a du conflit : tandis que le gosse retrouve le sourire dans les bras de sa sœur ainée, le contrechamp révèle les visages auto-satisfaits de Carole et de la responsable du centre d’accueil. D’un côté l’effusion de joie des miséreux, en guenilles, de l’autre les européens, gonflés d’orgueil par le sentiment du travail accompli. Bel éloge du planqué (que fait l’héroïne tout le long du récit ? Réponse : rien du tout) pour conclure ce film auto-étiqueté « grand cinéma » qui ne parvient jamais à prendre la mesure de son sujet. La coupe est pleine, la consternation est totale.