Au sein d’une filmographie placée sous le signe de la postmodernité, Coupez ! de Michel Hazanavicius a des allures de projet jusqu’au-boutiste. Difficile de résumer l’intrigue, qui prend pour point de départ un tournage de film de zombies, sans trop déflorer ses secrets. Précisons seulement qu’il s’agit du remake d’un film (Ne coupez pas !, de Shin’ichirô Ueda) relevant tout à la fois du pastiche, du tour de force technique (la réalisation d’un long plan-séquence) et du commentaire méta sur l’industrie du cinéma. Last but not least, le tout prend la forme d’une mise en abyme dans une mise en abyme, voire ici d’une mise en abyme dans une mise en abyme à son tour mise en abyme, en cela que la question du remake est intégrée à l’économie du récit. Le geste aurait pu être vertigineux, retors ou simplement épuisant, mais Hazanavicius surprend en restant très fidèle au matériau d’origine, sans pour autant livrer un simple copier-coller. Coupez ! s’en sort même plutôt bien au jeu inévitable de la comparaison : si le décor de la première partie n’a pas la force de celui de la version japonaise, le film trouve un meilleur équilibre entre distance comique et recréation d’une mauvaise série Z, ajoute un personnage amusant (le compositeur incarné par Jean-Pascal Zadi) et tourne plutôt habilement en dérision sa nature de décalque. Mais il est aussi tributaire des travers non négligeables du film qu’il adapte : le principe de stratification narrative sert avant tout une opération maintes fois répétée qui consiste à différer la jointure entre une situation donnée (le film en train de se tourner) et son contrechamp (les conditions de sa fabrication). La mise en scène vise de la sorte à assouvir la satisfaction menue que l’on peut ressentir devant un tour de passe-passe dont l’astuce nous est ensuite révélée : ludique, la chose prête vaguement à sourire, mais reste somme toute limitée. Loin d’un film « au carré » qui ferait de la régurgitation (cf. l’importance du vomi dans certaines séquences) et de la ré-ingurgitation son moteur, Coupez ! accouche finalement d’une comédie assez consensuelle, qui s’achève d’ailleurs sur une photo de famille.
L’affaire se complique toutefois un peu si, aux différentes couches du film, on en ajoute une nouvelle : le cas Hazanavicius. Cela fait trois films consécutifs que le cinéaste fait non seulement des films sur le cinéma, mais aussi des films de crise. Godard à la croisée des chemins (Le Redoutable), un père confronté à sa fille de huit ans qui ne veut plus qu’on lui raconte d’histoires avant de s’endormir (Le Prince oublié), et maintenant le tournage d’un film chaotique qu’un réalisateur de seconde zone entreprend, on le devine, pour reconquérir l’estime de sa fille. Nouvelle vague, studios oniriques (le monde imaginaire du Prince oublié, inspiré de Vice versa), série Z fauchée : Hazanavicius ratisse large et semble, constat cruel, chercher à conjurer son propre déficit d’inspiration en le mettant en scène à travers différents avatars. Quelque chose s’est perdu, nous racontent ses derniers films. Il y a dix ans, le triomphe de The Artist couronnait le succès du pasticheur. Depuis, des catastrophes industrielles (The Search, Le Prince oublié) ont côtoyé des comédies atones (Le Redoutable), tandis que OSS 117 est tombé entre les mains pataudes de Nicolas Bedos. Coupez ! documente indirectement l’état dans lequel se trouve son auteur : sous ses dehors de pochade faisant l’éloge de l’artisanat du cinéma et de sa « magie », le film brosse en creux le portrait d’un illusionniste émoussé qui tente, modestement et tant bien que mal, d’accomplir son numéro.