Primé au dernier festival de Cannes pour l’interprétation de Jean Dujardin, le nouveau film de Michel Hazanavicius s’éloigne ostensiblement du politiquement incorrect de la série des OSS 117. Il s’y joue pourtant le même plaisir du pastiche, à travers la reconstitution du Hollywood de la fin des années 1920 et des œuvres muettes en noir et blanc, pour un résultat ludique bien qu’un peu sage.
Il serait malhonnête de ne pas reconnaître le ravissement immédiat que procure la vision de The Artist, en même temps qu’il convient de s’en méfier tant le film joue ouvertement avec les apparences. Film dans le film, séquences en trompe-l’œil, sources sonores ou visuelles volontairement mal identifiées, Hazanavicius déploie toute une panoplie de distractions qui tentent d’emmener la narration vers un point plus ambitieux que son récit conventionnel. George Valentin (Jean Dujardin) est une vedette du cinéma muet qui va connaître la déchéance suite à l’arrivée du sonore, pendant que Peppy Miller (Bérénice Béjo), jeune figurante, se retrouve propulsée au rang de star du parlant. Destins croisés, chute et ascension, les trajectoires sont clairement établies et permettent à Hazanavicius de se délester du poids du récit classique par des ajouts plus modernes. Ainsi, la naissance d’une histoire d’amour à l’écran se dessine dans la répétition des prises sur un tournage, ou encore une ascension sociale décrite par un montage alterné virevoltant, où Peppy se voit confier des rôles de plus en plus importants. Toutes ces greffes prennent avec bonheur, et viennent apporter leur lot de stylisation (mot cher au père des OSS) pour mieux plonger dans la matière fantasmatique d’un Hollywood de cinéma.
Situant donc son récit durant la période charnière du passage du muet au parlant, le film ne prend pourtant que très ponctuellement en charge ce changement de régime. Que ce soit sous la forme d’un rêve sonore ou d’une onomatopée en intertitre, voire même du double sens (George est fâché avec sa femme, elle lui lance : « Pourquoi refuses-tu de parler ? »), Hazanavicius ne s’aventure que timidement dans les possibilités qu’aurait pu offrir un méta-film, dont la forme se modifierait en même temps que les changements induits par la marche de l’Histoire. Point de délire théorico-cinéphilique en vue, ce qui prime ici c’est le plaisir de la référence, des effets de reconnaissance (auxquels les présences de John Goodman, de Malcolm McDowell ou James Cromwell en double du Nestor de Tintin ne sont pas étrangères), ou des petits décalages savoureux (différence entre la longueur des phrases en intertitre et les mouvements de bouche des comédiens). De ce point de vue, il est vrai qu’un tel exercice pourrait se complaire dans une sorte d’autisme un peu vain, peuplé de petits tics et de clins d’œil au spectateur, avec une autosatisfaction proclamée à chaque plan.
Et pourtant il n’en est rien, car le film se débarrasse progressivement de sa légèreté première pour gagner en gravité, et retrouver les beaux émois du plus pur mélo à l’américaine. Qu’il ait mérité ou non son prix d’interprétation, peu importe, car force est de constater que Jean Dujardin (sans oublier Bérénice Béjo, empreinte d’une pétulance qu’on ne lui connaissait pas jusque-là) est pour beaucoup dans la réussite de cet hasardeux glissement de la comédie ubuesque vers un drame plus personnel. Un drame qui vient habiter le film de manière plus franche, et dessine une petite fable sur l’orgueil et le refus de la modernité (ce qui, pour un film qui tente d’imiter le style des œuvres du muet, est finalement assez hardi). Mais Hazanavicius a l’humilité de prendre ceci au sérieux, en accompagnant cette trajectoire descendante avec autant d’application que les phases un peu plus « bling-bling » de son récit. C’est un peu aussi la limite de The Artist car, entre ses élans humanistes et sa patine rétro, il est sûr que tout le monde ne voudra pas manger de ce pain-là. Il serait pourtant bien dommage de s’en priver.